L’arrivée de la caméra dans l’arsenal policier soulève des questions

À peine des policiers de Montréal avaient-ils commencé à patrouiller dans le métro avec des caméras portatives, mercredi, que le projet-pilote du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) faisait réagir, tantôt par des remarques pessimistes, tantôt par de longues séries de questions.

Jusqu’en mars 2017, des policiers du SPVM testeront des caméras portatives, des objets d’une valeur de 350 $ à 1000 $ dont l’utilisation doit servir à « rendre les interventions policières plus transparentes » et à « assurer la confiance des citoyens envers les policiers », selon le Service de police.

Une trentaine d’agents des unités métro et circulation secteur Sud doivent d’abord utiliser les caméras dans des lieux publics. Dans une deuxième phase, des policiers travaillant dans des postes de quartier — et pouvant donc être appelés à intervenir dans des lieux privés — mettront la nouvelle technologie à l’épreuve.

« Chaque policier qui estime être dans une situation d’urgence ou dans une intervention aux fins d’enquête doit allumer sa caméra », a résumé le commandant Patrick Lavallée.

À l’inverse, un policier pourra choisir de ne pas activer sa caméra s’il « comprend qu’un élément de dignité ou de responsabilité doit être respecté ou si la personne communique [ce] besoin », a ajouté le commandant Lavallée. Et que se passera-t-il dans les manifestations ? « On n’a pas encore la réponse », a admis le policier.

Des règles floues

Pour l’avocat Alain Arsenault, qui représente régulièrement des victimes présumées d’actes policiers, le flou entourant les règles d’utilisation de la caméra est inquiétant. « J’applique le cas Villanueva à ça et avant que le policer tire, je ne suis pas certain que la caméra est partie… » illustre-t-il. « Un policier qui sait qu’il est sur le bord de franchir la ligne ne va pas déclencher la caméra », a ajouté l’avocat.

À ce sujet, le directeur du SPVM, Philippe Pichet, a plaidé la bonne foi. « Les policiers en veulent, des caméras. […] Les policiers travaillent toujours comme s’ils étaient filmés : ils n’ont pas une façon de travailler quand ils sont filmés et une façon de travailler quand ils ne le sont pas », assure-t-il.

Le conseiller de Projet Montréal Alex Norris s’est avoué déçu de la stratégie de communication du chef Pichet, même s’il estime que les caméras portatives sont des outils qui ont un « bon potentiel ». « On sait qu’il y a une minorité de policiers qui commettent parfois des abus. On l’a vu, il y a des cas qui ont été médiatisés et je pense que le message à envoyer aurait dû être axé sur la nécessité de suivre les règles, plutôt que de nier toute tentation que pourrait ressentir un policier de le faire », dit-il.

Pour son projet, Montréal s’est largement inspiré de Toronto, qui teste des caméras sur une centaine de ses agents depuis mai 2015. Dans le monde, divers exemples sont éclairants. L’exemple de Rialto, en Californie, est largement cité. Dans la première année d’utilisation des caméras, le recours à la violence par les policiers y a chuté de 60 % et les plaintes, de 88 %. À New York, où les caméras ont été testées sous l’ordre d’une juge, on s’apprête à faire du projet-pilote une réalité. Bientôt, 18 000 agents seront équipés de caméras corporelles.

Publication sélective

Mais les chiffres ne disent pas tout, a souligné Roland-Yves Carignan, ancien directeur de l’information au Devoir et étudiant au cycle supérieur en médias sociaux numériques. Il rappelle le cas de Laquan McDonald, cet adolescent de 17 ans tué par balle à Chicago en octobre 2014. « La police de Chicago a répété pendant un an que l’enregistrement n’existait pas », rappelle-t-il. Les images ont finalement été dévoilées pour satisfaire l’ordonnance d’un juge. Au même moment, le policier impliqué dans l’affaire a été accusé de meurtre au premier degré, devenant du même coup le premier policier de Chicago à faire face à ce type d’accusations en plus de 30 ans.

« Est-ce que les enregistrements vont être rendus publics seulement quand le policier a bien agi ? demande donc M. Carignan. Il va falloir suivre ce qui arrive avec ces enregistrements pour bien voir s’il y a transparence. »

Accès aux images

Roland-Yves Carignan insiste : la caméra corporelle des policiers n’est pas un relais de la caméra citoyenne pour surveiller les policiers, mais plutôt un moyen supplémentaire de garder les citoyens à l’oeil, à son avis. « En matière de sécurité nationale, on est dans un paradigme où l’idée est d’avoir le plus d’informations possible sur tout le monde pour pouvoir surveiller tout le monde. Edward Snowden nous l’a bien montré », souligne-t-il.

Mais qui aura accès aux informations recueillies par les caméras, qui seront stockées dans un nuage pendant trois ans, pour coïncider avec la durée de prescription juridique ? À cette question, le SPVM répond que le canal d’accès sera la Loi sur l’accès à l’information, par laquelle devront passer tant les citoyens filmés que les journalistes ou les membres du futur Bureau des enquêtes indépendantes. « Les images pourront être utilisées en Cour, confirme Philippe Pichet. Mais selon quels paramètres, de quelle façon, on le saura avec le projet-pilote. »

Monique Dumont, journaliste à la retraite et ancienne chef recherchiste de l’émission Enquête à Radio-Canada, propose des pistes de réponse. « Le fait que ces images pourraient éventuellement servir de preuves empêchera-t-il leur divulgation ? Je ne saurais dire, n’étant pas avocate. Toutefois, il faut savoir que des éléments des rapports de police sont sujets à divulgation aux personnes impliquées en vertu de l’accès [à l’information] », a-t-elle rappelé.

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