Privé de soins, un détenu meurt «au bout de son souffle»

La fin «particulièrement répugnant[e]» d'un détenu mort «au bout de son souffle» dans une cellule d'isolement de l'infirmerie de Bordeaux doit entraîner des «changements profonds» dans les soins prodigués dans les prisons du Québec, selon un rapport de coroner obtenu par La Presse.

Soupçonné de simuler ses problèmes respiratoires malgré un diagnostic officiel posé deux jours plus tôt à l'hôpital, Van Duc Tran n'a pas pu voir le médecin présent à la prison peu de temps avant de mourir, au printemps 2013. Il a plutôt été enfermé, privé selon toute vraisemblance des visites médicales imposées par le règlement, et s'est heurté à l'indifférence lorsqu'il a demandé de l'aide, a relaté le coroner Jacques Ramsay dans son récent rapport et dans une entrevue accordée à La Presse.

Un infirmier l'a retrouvé sans vie à 21h40. M. Tran avait 53 ans et était détenu en attente de son procès pour production de stupéfiants. Il est mort de complications liées à son asthme.

Qualifiant la mort d'«évitable», le Dr Ramsay a recommandé au ministère de la Sécurité publique d'obliger les infirmeries de toutes ses prisons à ouvrir leurs portes à un organisme indépendant afin d'être évaluées et éventuellement certifiées.

Alors que tous les établissements de santé sont soumis à ce processus «d'agrément», «il est gênant de constater que seuls les services de santé des établissements de détention échappent à ce contrôle élémentaire de qualité», a-t-il écrit. «La responsabilité du personnel soignant est d'autant plus grande que le détenu a un statut captif.»

En isolement

Van Duc Tran, qui souffrait d'asthme, a fait l'aller-retour à diverses reprises entre sa cellule et l'infirmerie de la prison au cours de ses dernières semaines de vie, en raison d'un grave problème respiratoire appelé «bronchospasme».

On l'a même conduit jusqu'aux urgences de l'hôpital Sacré-Coeur deux jours avant sa mort, le 19 mars 2013. Les médecins l'ont traité toute une nuit avant de le renvoyer en prison, «en mentionnant bien que monsieur doit se représenter si le tableau empire», relate le rapport.

Le 22 mars, M. Tran est conduit au début de l'après-midi à l'infirmerie, car il se plaint de difficultés respiratoires. Il est rapidement renvoyé dans son unité - enfumée par les cigarettes de ses codétenus. Il «s'effondre par terre» sur le chemin du retour, mais rien n'y fait: son comportement lui vaut des reproches et on le renvoie en cellule.

Le même jour à 18h30, «un codétenu actionne le bouton d'alarme car M. Tran est trop mal en point pour le faire», explique Jacques Ramsay dans son rapport. Transporté à l'infirmerie, il aurait alors fait l'objet de «commentaires désobligeants de la part de l'équipe soignante», qui croit qu'il simule ses problèmes. Il est placé dans une cellule d'isolement de l'infirmerie et «tout indique qu'il n'a pas eu droit aux visites toutes les quinze minutes ainsi que le règlement le stipule», indique le coroner.

Vers 21h20, «M. Tran frappe sur sa porte pour réclamer de l'aide, mais sa demande est accueillie dans l'indifférence».

C'est un infirmier qui le retrouvera sans vie à 21h40. «Mourir au bout de son souffle sans avoir accès à l'aide la plus élémentaire a un caractère particulièrement répugnant», déclare le Dr Ramsey. «Il y a tout lieu de croire qu'un minimum de diligence aurait permis de maintenir M. Tran en vie.»

«Tragiquement, il appert qu'un médecin était présent ce soir-là [à Bordeaux] mais que l'équipe soignante n'a pas jugé bon de le déranger», a-t-il ajouté.

Des accusations possibles

«La mort de M. Tran me suggère qu'il y a des lacunes» dans les services de santé offerts aux détenus, a affirmé Jacques Ramsay au bout du fil. «Ce n'est pas un milieu facile. C'est d'autant plus important d'essayer de le baliser et de l'améliorer.»

Le médecin est plus dur encore dans son rapport.

«Des changements profonds sont probablement indiqués afin d'amener une nouvelle culture des soins à l'infirmerie» de Bordeaux, écrit-il, en plus de recommander que toutes les infirmeries soient soumises au processus d'agrément.

En cas contraire, «je crains» que la situation ne débouche sur «des accusations de discrimination» envers l'État, indique M. Ramsay.

Le ministère de la Sécurité publique n'a pas rappelé La Presse.

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