Lettre d'Amélie, présentement détenue au Mexique

23 février 2014, prison de Santa Martha, México, DF

Le soir du 5 janvier dernier, j’ai été arrêtée avec mes compagne.on.s Fallon et Carlos pour avoir supposément attaqué le Secrétariat Fédéral des Communications et Transports de Mexico, ainsi qu’un concessionnaire de voitures Nissan. Des vitres ont été brisées et des cocktails molotov ont été projetés à l’intérieur du ministère, (selon ce que les preuves disent) et dans les voitures neuves du concessionnaire. Les dommages se sont élevés à plus de 70 000 pesos au ministère et de plus de 100 000 pesos au Nissan.

Effectivement, je suis anarchiste et je vis à Montréal, au Canada. J’étais de passage au Mexique, et voilà que mon voyage se prolonge de quelques temps.

Après avoir été arrêtée, on nous a enfermé pendant 96 heures, pour ensuite nous transférer au Centre Fédéral des Arraigo- sans même avoir vu un juge. Nous y avons été séquestré pendant 40 jours. En cellule, 23 heures sur 24, une cigarette par jour, fumée en 10 minutes; 3 repas par jour, mais avec seulement 10 minutes pour manger à chaque fois, sans parler; pas le droit d’avoir de crayon; 9 minutes de téléphone par jour… Bref, c’était l’attente, et il ne se passait rien d’autre que la télé ouverte, du matin au soir, avec les «télé-novelas» mexicaines qui passaient. Une chance que nos ami.e.s nous ont envoyées des livres! Merci, je ne sais pas comment j’aurais survécu sinon.

Le jour 40, le Procureur Général de la République (PGR- police fédérale) transfère nos dossiers à la PGJ (police d’état) parce qu’ils n’ont pas de preuves pour nous accuser au fédéral. Ansi, depuis le 17 février, Fallon et moi sommes à la prison de «Santa Martha», prison d’État pour femmes à Mexico City, où nous avons été transférée et Carlos se trouve à «Oriente», une prison d’État pour hommes à 20 minutes de nous. Ici, c’est une micro-société entourée de béton et de barbelés, mais où on peut faire ce qu’on veut à l’intérieur des murs.

Au moment où j’écris ce texte, il est 7h30 du matin. Je suis dans la cour et je regarde le soleil se lever derrière la tour de garde qui occupe le paysage. En vrai, je me sens presque dans une cour de HLM quand je regarde le bâtiment avec les vêtements qui pendent aux fenêtres sans barreaux. Y’a plein de pigeons, de poubelles, de gazon jauni et de barbelés. Y’a aussi plein de gens avec leurs histoires.

La prison, comme la police, est un fait nécessaire au maintient de la paix sociale. C’est la domination et le contrôle qui permettent à ce monde dégueulasse de persister. La prison signifie peur, inconnu, honte, solitude, isolement. La société c’est le dressage des individus en bons citoyens. Ainsi, ma force en tant qu’individue prend racine dans le refus que la peur soit une limite dans ma vie. Bien sûr que j’ai peur, comme tout le monde, de plein de choses, mais mes désirs de liberté sont plus forts. La peur est souvent construite et se déconstruit quand on y fait face. Ce qui importe, c’est de voir plus loin, de dépasser les cadres, les frontières, au delà des murs, des montagnes, des fleuves et des océans.

Je suis ici pour je ne sais combien de temps, mais je ne m’apitoie pas sur mon sort. J’ai confiance que dehors, la lutte continue et les gens se rencontrent, s’aiment, se détestent, vivent, osti. En fait, je ne me sens pas à l’aise que des gens focussent sur notre cas sans engager leurs propres luttes dans leurs contextes. Je pense que la meilleure solidarité se construit dans le partage des forces individuelles et collectives. Le pire pour moi serait que rien ne se passe dehors, alors que nous sommes séquestrées ici, mais je sais que mes ami.e.s continuent, malgré les difficultés auxquelles nous devons faire face. Ma réalité d’anarchiste en prison n’est qu’un fait parmi d’autres avec lequel nous devons nous adapter. Le plus difficile est souvent de maintenir et protéger les liens de confiance entre compagne.on.s avec qui nous partageons des affinités pour pouvoir penser dans le long terme. Lorsque c’est possible, cela fait émerger des possibilités inimaginables.

En ce sens, mes idées et analyses restent les mêmes qu’en dehors. C’est pourquoi je n’ai pas envie de changer mon discours pour recevoir l’appui des gens. J’apprécie énormément les efforts de solidarité qui ont été fait jusqu’à maintenant, par contre, je me distancie de certaines initiatives qui ont été prises en solidarité avec nous, à Montréal : lors de la vigile qui eut lieu devant le consulat mexicain, le discours exposé dénonçait la torture et le non-respect des droits humains pratiqués par l’État mexicain. L’ONU a été mentionnée avec un ton réformiste et progressiste. Honnêtement, j’apprécie que plusieurs personnes se préoccupent de notre cas, seulement je refuse d’utiliser ces discours réformistes illusoires. Pour moi, l’injuste, la torture et le non-respect des droits humains font partis intégralement du monde tel qu’il est. Les droits sont régulés par l’État et sont suspendus à tout moment dès que besoin se fait sentir. De plus, cela favorise l’idélogie de la démocratie (des droits pour des citoyens), la plus grande des illusions qui soit. Et surtout, appuyer nos idées en faisant référence à des instances du pouvoir telle l’ONU ne peut construire une lutte anti-autoritaire forte. Ce n’est pas en tentant d’influencer l’opinion publique avec des discours réformistes que l’on pourra construire les bases solides d’une lutte irrécupérable.

Je dois dire aussi que je n’ai honnêtement rien à faire des syndicats étudiants et de travailleurs, et cela même dans l’idée du «syndicalisme de combat» très à la mode chez moi, à Montréal. Ces organisations sont formelles et bureaucratiques. Elles reproduisent la «démocratie directe». Ce sont ces mêmes structures que je veux détruire, qui imposent une distance entre les individus, dans le rapport des individus au monde et au vivant. La formalité, la bureaucratie, la loi, et l’institutionnalisation transforment les liens entre les personnes. Ils figent les possibilités de transformation constante, exactement comme le font les partis politiques. Ils tentent d’organiser et de diriger «la masse informe».

Ainsi, il y a une contradiction évidente : nous avons été appuyées par des associations étudiantes au Québec. Pour ma part, je n’ai aucun problèmes avec le fait d’accepter cet argent qui nous aidera sans doutes à sortir de prison. Mais je dois dire que selon moi, ces organisations n’ont rien de révolutionnaire. Elles sont pourries à la base. Elles sont fondées sur des structures d’organisation maoïste et sont entièrement formelles, avec leur code de procédure de politiciens. Ce langage est incompréhensible. Des orateurs charismatiques manipulent les votes des masses en exprimant ce que la majorité veut entendre plutôt qu’en parlant avec le cœur. Des foules de 100 000 personnes marchent comme des zombies, chantent et répètent les même slogans réformistes et retournent ensuite chez eux, dans leurs quotidiens.

Dans la situation dans laquelle je me trouve, en attente de ma sentence ou de ma libération, exprimer ouvertement que je suis anarchiste peut me mettre dans la précarité. J’ai choisi de le faire, de toute façon. Plusieurs fois, j’ai ressenti le besoin de communiquer avec d’autres anarchistes ayant vécu des situations semblables. Confronté.e.s à la répression de l’État , il y a plusieurs façons de réagir. Je pense qu’utiliser un discours modéré procurent des privilèges tels que sortir de prison plus rapidement, obtenir du financement ou se faire accepter socialement. Mais je pense qu’aussi longtemps que les discours et les actes seront modérés, il sera difficile de propager des pratiques insurrectionnelles et anti-autoritaires. C’est pourquoi il est important de communiquer mes idées ouvertement et en connaissance de cause.

Je ne sais pas combien de temps je serai enfermée ici, mais une chose est certaine : ce ne sera pas pour toute la vie. J’ai la chance d’avoir des ami.e.s et des compagne.on.s de luttes géniaux, et je ne me sens pas seule. La force et le courage se trouvent d’abord en soi. Il y a un univers de possibles, ici comme ailleurs. Toutes formes de domination sont à combattre, autant celle qui crée les structures et les institutions que celles qui s’immiscent dans nos relations. Il n’existe pas de paradis ni de monde parfait. La liberté c’est le mouvement et le conflit permanent, en confrontation avec le monde des images, des symboles et des apparences. La liberté, c’est la destruction des structures de domination sur nos vies. Au Mexique, à Montréal, en France, à Vancouver, aux Etats-Unis, en Espagne, en Grèce, au Chili, en Égypte, en Belgique, en Italie, en Allemagne, en Angleterre, en Hollande, je salue mes ami.e.s et compagne.on.s de lutte. Pour la liberté totale, je souhaite que des liens se forgent dans la lutte.

En solidarité avec Carlos «Chivo» et Fallon.

Avec Amour, à bas les murs de toutes les prisons.

Amélie.

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