Caméras portatives au SPVM: un enterrement de première classe

Le déploiement de caméras portatives sur les 3000 patrouilleurs du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) est compromis. Les troupes n’en veulent pas et elles se sont organisées pour torpiller le projet pilote. Le président de la Commission de la sécurité publique, Alex Norris, vient d’achever cette initiative prometteuse en la jugeant coûteuse et prématurée.

Dommage d’en arriver là aussi rapidement, mais faut-il s’en étonner ? Sauf lorsqu’elles sont utilisées pour surveiller les foules et assurer la sécurité dans les endroits publics, les policiers n’aiment pas les caméras.

C’est un enterrement de première classe, pour des motifs obliques de coûts et de bénéfices, auquel nous avons assisté à l’Hôtel de Ville, à partir de résultats parcellaires. Durant le projet pilote de 12 mois impliquant 78 policiers, 19 interventions avec usage de la force ont été répertoriées. De celles-ci, 13 ont été filmées : 8 de manière complète et 5 de façon incomplète. Le SPVM en arrive à la conclusion qu’il faudrait filmer en tout temps pour rendre le déploiement des caméras portatives utile, ce qui nécessiterait l’embauche de 202 personnes, au coût annuel de 24 millions de dollars, en plus des frais d’implantation de 17 millions sur cinq ans.

L’opposition à l’Hôtel de Ville, pour les caméras, fait remarquer que les coûts n’ont jamais été évoqués comme un obstacle lorsqu’il était question de munir les policiers de fusils d’assaut (bonjour la police de quartier !) ou de pistolets à impulsion électrique. Il s’agit d’une explication partielle.

Le fabricant Axon (anciennement connu sous le nom de Taser) déplore que le SPVM ait retenu le scénario financier le plus élevé, alors qu’il y a des moyens de limiter les coûts. Lors du projet pilote, les policiers téléchargeaient au fur et à mesure les images, ils les annotaient manuellement, ils les révisaient et ils les recopiaient sur un support obsolète nommé DVD. Or, il aurait été possible d’activer les caméras de façon automatique, par exemple lorsqu’un policier allume les gyrophares de sa voiture de patrouille, ou encore lorsqu’il dégaine son arme. Le SPVM a boudé ces options. Peu d’automatisation, beaucoup d’interventions humaines : la recette parfaite pour faire gonfler la note hypothétique.

La statistique qui compte le plus dans cette histoire est la suivante : 89 % des policiers ont eu l’impression d’être surveillés. Certains d’entre eux étaient animés de la crainte réelle et fondée que les enregistrements soient retenus en preuve contre eux. Il est vrai que le déploiement des caméras portatives pose un défi au regard du droit à la présomption d’innocence d’un policier dans le cas d’une intervention qui dégénère au point de faire des morts ou des blessés. En pareilles circonstances, le policier qui activerait sa caméra ferait un geste équivalant à l’auto-incrimination.

Est-ce une brèche acceptable dans le droit à la présomption d’innocence, compte tenu des pouvoirs importants dont bénéficient les policiers ? Ce n’est certes pas au SPVM de répondre à cette question complexe, mais au législateur et aux tribunaux supérieurs. C’est dans les cas précis d’usage létal de la force que les caméras corporelles prennent toute leur importance. En limitant leur usage aux interventions les plus critiques, il serait d’ailleurs possible de contenir les coûts.

Avant de tirer un trait définitif sur les caméras portatives, le ministère de la Sécurité publique devrait mener un projet pilote plus sérieux, portant sur plus d’un corps policier, et inclure des observateurs neutres et indépendants dans l’évaluation globale. En ce moment, le SPVM est juge et partie d’une situation qu’il faut évaluer non pas en fonction de ses coûts et des appréhensions des policiers, mais plutôt en fonction de son potentiel pour accroître le sentiment de sécurité du public, le lien de confiance avec les policiers, et la responsabilisation de ceux-ci.

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