Surveillance pour tous à l'étude

Québec analyse activement des façons de contrôler une deuxième vague de la pandémie de coronavirus grâce à la géolocalisation à grande échelle des citoyens. Le ministère de la Santé étudie de près les méthodes de surveillance controversées utilisées notamment en Chine et en Corée du Sud.

Un message d'alerte retentit sur votre téléphone intelligent. On vous informe qu'au cours des 14 derniers jours, vous vous êtes trouvé à moins de deux mètres d'une personne déclarée positive à la COVID-19. Vous devez vous faire tester sans délai.

L'application gouvernementale installée sur votre appareil vous alerte, car elle peut suivre vos déplacements en tout temps, que vous soyez porteur du virus ou pas.

Ceci n'est pas de la science-fiction.

Notre Bureau d'enquête a mis la main sur un document confidentiel du ministère de la Santé, intitulé « Bulletin de veille interne sur la géolocalisation-COVID ».

On y trouve une recension d'applications similaires qui ont été déployées - souvent avec succès – dans les derniers mois à Singapour, en Corée du Sud, en Pologne, à Taïwan, en Chine et à Hong Kong.

« Est-ce que toute la population accepterait ce genre d'application de type "Big Brother" ? », préviennent les experts de la Direction de l'intelligence artificielle et de la valorisation des données du ministère.

Big Brother, bien sûr, fait référence au célèbre roman 1984 de George Orwell, dans lequel l'état peut surveiller à distance les citoyens et porter atteinte à leur droit fondamental à la vie privée.

Deux technologies

Chose certaine, écrivent les experts du ministère, le gouvernement devrait « avoir un plan de communication très clair et solide » pour rassurer les Québécois avant d'implanter des dispositifs de surveillance à distance.

Concrètement, Québec étudie deux technologies, qui sont décrites plus en détail ci-dessus.

Une application basée sur la technologie Bluetooth, qui permet à votre cellulaire d'échanger de l'information avec tous les autres téléphones que vous croisez pendant la journée. C'est ainsi que vous pourriez savoir si vous vous êtes trouvés trop près d'un porteur de la COVID-19.
La localisation GPS, qui permet à une tierce partie de savoir en tout temps où vous vous trouvez. Les déplacements de ceux qui devraient se trouver en quarantaine peuvent ainsi être épiés.

Enjeux éthiques et légaux

Selon nos informations, l'étude exhaustive réalisée par le ministère de la Santé vise à déterminer quelle serait la meilleure stratégie à appliquer si une deuxième vague de la pandémie devait survenir à partir de l'automne.

Faudrait-il obliger chaque Québécois à munir son téléphone d'une application de surveillance ?

« L'opération en Chine et en Corée du Sud est obligatoire », note le ministère.

Cybersécurité

Le document consulté montre que Québec n'a pas encore pris de décision, mais est bien conscient des enjeux éthiques, légaux et de cybersécurité que comporte la géolocalisation.

Les experts gouvernementaux sont cependant alléchés par la perspective que son utilisation permettrait « potentiellement de sortir d'un confinement généralisé ».

« Le suivi des contacts [entre utilisateurs de cellulaires] aide à aplanir la courbe et à réduire le pic de charge d'une maladie sur le système de santé », écrivent-ils.
Deux technologies envisagées

► Bluetooth

Comment ça marche ?

Votre cellulaire reçoit de l'information chaque fois qu'il se trouve à proximité d'un autre téléphone.
Vous pouvez télécharger votre historique de rencontres et savoir où et quand vous vous êtes trouvé à proximité d'un porteur du virus.
À l'inverse, si vous venez de recevoir un diagnostic positif, l'application informera ceux que vous avez croisés récemment.

Quels sont les enjeux ?

Cette technologie est capable de détecter « les contacts étroits à moins de 2 mètres, en filtrant les rencontres en fonction de la force du signal ».
Pour être efficace, cette solution nécessite un taux d'adoption élevé, car un citoyen infecté qui n'en est pas muni serait « invisible » pour l'application. D'où son aspect obligatoire dans certains pays asiatiques.
La technologie Bluetooth « semble moins contraignante (que le GPS) quant à la vie privée », puisque le « consentement aux partages des données » doit être obtenu, et qu'il y a « plus de contrôle côté utilisateur », lit-on dans les documents ministériels.

Est-ce que ça existe ailleurs ?

Ça a notamment été utilisé avec succès à Singapour, et depuis, « plus de 50 gouvernements ont manifesté leur intérêt ».
« Le développement d'applications basées sur cette technologie a aussi lieu en France, comme en Allemagne ou aux États-Unis d'ailleurs », notent les experts du ministère.

► GPS

Comment ça marche ?

Votre téléphone communique en temps réel votre localisation exacte au gouvernement. On pourrait vous obliger d'activer cette fonctionnalité si vous avez été déclaré positif.

Quels sont les enjeux ?

La précision est de seulement 10 mètres, et elle peut se détériorer en présence de grands immeubles ou dans le métro.
« L'utilisation des données GPS est très intrusive et porte atteinte à la liberté des personnes », notent les experts du ministère. Ainsi, « la méfiance du public » pourrait « entraver l'adoption ».

Est-ce que ça existe ailleurs ?

En Corée du Sud, tous les malades doivent se soumettre à cette surveillance, et un site web permet même à toute la population de savoir en temps réel où se trouvent les malades.

L'application utilisée en Corée du Sud permet à tous de suivre en temps réel le déplacement des malades. Les cas en rouge sont déclarés depuis 24 heures, ceux en jaune, entre 24 heures et quatre jours, et ceux en vert, depuis plus de neuf jours.

« En cas de refus de partager ces informations, les patients récalcitrants risquent jusqu'à deux ans de prison », peut-on lire dans les documents du ministère.

Le gouvernement du Québec a reçu 11 propositions

Le ministère de la Santé a reçu dans les dernières semaines plus d'une dizaine de propositions d'entreprises qui veulent lui vendre des systèmes de surveillance à distance de la population.

C'est ce que montre un document secret de la Direction de l'intelligence artificielle et de la valorisation des données du ministère, sur lequel notre Bureau d'enquête a mis la main.

L'une des 11 propositions reçues provient de l'Institut québécois d'intelligence artificielle (MILA), qui offre une « application mobile qui permettrait de perfectionner les stratégies de maintien à distance de la population vis-à-vis des personnes infectées par la COVID-19 ».

L'application pourrait par exemple fournir en temps réel « des alertes de trop grande proximité avec un autre utilisateur », grâce à la technologie Bluetooth des téléphones cellulaires. Elle pourrait également « fournir des rappels de lavage de mains ».

Elle se base sur une solution développée en collaboration avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et l'Université Stanford, aux États-Unis.

Le projet du MILA est qualifié de « très ambitieux et très intéressant » par les experts du ministère.

Comme à Singapour

La firme québécoise Ubisoft, de son côté, veut vendre au gouvernement une « application mobile d'identification des zones géographiques à haut risque de contagion ».

L'outil comprendrait « l'utilisation de données spatio-temporelles afin d'alerter les individus potentiellement à risque d'avoir contracté la COVID-19 ».

Un autre projet appelé Triago met de l'avant des bracelets géolocalisés qui généreraient « des données de localisation des patients, du personnel et du matériel critique pour mieux comprendre la dynamique actuelle de la situation ».

Une firme propose quant à elle l'adaptation québécoise de TraceTogether, la solution utilisée à Singapour. Ce système a « fait ses preuves », note le ministère. Et puisque « le code est en logiciel libre, le prix d'adaptation devrait être raisonnable ».

En date du 20 avril, aucune rencontre n'avait eu lieu avec les fournisseurs, selon le ministère.

► Au début avril, notre Bureau d'enquête révélait que la Sûreté du Québec envisageait d'avoir recours à la géolocalisation pour faire respecter des directives de confinement. À ce jour, un seul cas de recours à la géolocalisation a été médiatisé au Québec, dans la région de la Capitale-Nationale.

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