Avant les coups de feu, le filet de prévention du SPVM dans Saint-Michel

À chaque fois que des coups de feu sont tirés dans la métropole, des voix s’élèvent pour réclamer plus d’actions de « prévention » de la violence armée, pour la sécurité de tous. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Le Devoir a fait une brève incursion au sein du poste de quartier 30 (PDQ 30) du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), situé en plein cœur du quartier Saint-Michel, pour voir comment on s’y prend avec les jeunes pour éviter qu’ils ne glissent vers la criminalité.

Le parc François-Perrault, adjacent à l’école secondaire du même nom, était fort calme en ce mercredi après-midi de printemps. Pourtant, c’est l’un des lieux sous haute surveillance du quartier.

Il n’y a pas si longtemps, le centre de loisirs la Maison du citoyen, qui se trouve dans ce parc, a été le théâtre d’une fusillade au volant.

Le sergent superviseur Yves Expérience-Nozieux — appelé tout simplement sergent Expérience par ses collègues — balaie le parc du regard. Lui-même un « ancien jeune » de ce quartier multiethnique, il montre du doigt les lieux de rassemblement des jeunes du coin.

« La situation est beaucoup plus violente aujourd’hui qu’il y a 30 ans », tranche Harry Delva, qui est à la tête de l’équipe des « médiateurs urbains » qui patrouillent sans uniforme dans ce parc, et dans tous les endroits où les jeunes se trouvent — même l’été quand l’école fait relâche.

Notre travail est de les protéger et de les accompagner dans leur milieu, au quotidien, résume l’homme, qui est à l’œuvre dans le secteur depuis plus de 30 ans. On leur explique ce qui va arriver s’ils continuent sur la voie de la criminalité, « pour mettre fin au sentiment d’impunité ».

« On est la conscience des jeunes », dit-il.

Il sait que des adolescents ont des armes sur eux, et que certains s’en servent pour régler leurs conflits. « Je rencontre les jeunes ici [à l’école]. Je connais ceux qui sont problématiques, qui ont une attirance vers une forme de délinquance ou de criminalité, qui ont un attrait particulier pour les armes », poursuit-il.

M. Delva les approche en faisant des blagues, en parlant de choses et d’autres, avant d’aborder des sujets plus délicats. Les médiateurs sont issus du quartier et de ses communautés culturelles. Haïtiens ou Maghrébins, « ils connaissent les mœurs des jeunes » et peuvent être des modèles pour eux, raconte l’homme, rencontré dans un local de la polyvalente Joseph-François-Perrault, où il passe une bonne partie de son temps.

« Dès la première année du secondaire, je leur dis : je suis ton meilleur ami. Ne prends pas tout sur toi. Je peux t’aider avec les problèmes. »

Mais c’est sûr qu’il y en a qui ne veulent rien savoir de moi, reconnaît-il.

Comment rattrape-t-on ceux-là ?

Un silence. « On fait le lien avec les agents sociocommunautaires du SPVM. Là où j’en échappe, quelqu’un d’autre peut prendre le relais. »

La police peut adapter son intervention, intervient le sergent Expérience, qui cumule 18 ans d’expérience. C’est-à-dire que la meilleure option peut être de ne pas déposer d’accusations et d’opter pour un suivi qui n’assomme pas le jeune avec un casier judiciaire : cela va être ensuite plus facile pour lui de faire d’autres choix.

« Je traite le jeune avec respect. » Pas comme un criminel. Alors quand il y a un problème, il y a plus de chance qu’il perçoive une intervention policière comme légitime, explique-t-il.

En plus des médiateurs urbains, les jeunes des écoles secondaires de Saint-Michel croisent tous les jours deux policiers du SPVM — toujours les mêmes visages — qui sont là à la sortie des classes. Ces anciens du quartier bavardent avec les jeunes pour tisser des liens et désamorcer les conflits. C’est une présence positive, décrit le sergent Expérience : ils rencontrent des policiers, sans tension.

Cette question de la prévention a été au cœur du récent Forum montréalais pour la lutte contre la violence armée, organisé par le SPVM et la mairesse, Valérie Plante, qui s’inquiète de l’usage de la violence et des armes par les jeunes.

Police et communautaire

Le parc François-Perrault est aussi l’endroit où le commandant du PDQ 30, Claude Lizotte, va prendre son café le matin. « Parce que c’est important de lire le quartier », avance-t-il.

Il est conscient de l’image « problématique » du secteur qui est relayée dans les médias. Mais 95 % des jeunes ne causent aucun problème, selon lui.

Il décrit avec enthousiasme des atouts policiers de son poste, dont deux agents sociocommunautaires, qui vont dans les écoles parler de la loi et de la cyberintimidation, et deux de l’Équipe de concertation communautaire et de rapprochement.

Et comme à 16 ou 17 ans il est peut-être un peu tard pour dissiper l’attrait financier du crime, le commandant a bonifié les efforts dans les écoles primaires. D’ici la fin de l’année, promet-il, les élèves vont vivre trois activités positives avec la police, dont une avec les policiers à cheval.

Le commandant a une autre arme secrète : Marlène Dessources, une « conseillère en concertation » qui est les « yeux du SPVM » dans les organismes communautaires du secteur. Elle y voit ce qui se passe, dont les parents à bout de souffle qui ont besoin d’aide.

Le tissu communautaire est tissé serré dans ce quartier. Et sans ces organismes, le filet de prévention serait incomplet.

Devant un complexe de logements à loyer modique où elle se rend fréquemment, Mme Dessources illustre ainsi son travail. Un adolescent avait été arrêté pour des vols et de la vente de drogue. « Je suis allée rencontrer la famille et j’ai dit à la mère : si j’avais une baguette magique, que voudriez-vous ? » Elle a ouvert le frigo : il était vide. « On a évalué les besoins et acheté de la nourriture et aussi de l’équipement de sport ». Car elle a bien vu que le jeune ne pouvait pas en faire avec les autres. C’est ça aussi, la prévention, dit-elle.

Le sergent Expérience montre le site de la défunte enclave de HLM insalubres, appelé « Plan Robert ». La pauvreté y était présente, comme les gangs de rue, fomentant les affrontements avec les policiers. Désormais, des logements flambant neufs s’y dressent, abritant des services communautaires, comme une Maison de jeunes et Mon Resto, qui sert des repas à bon prix et fait aussi office de banque alimentaire. Les représentants du SPVM y sont salués comme de vieilles connaissances.

Pas loin de là, des jeunes consommaient de la drogue dans des logements vacants du secteur, rapporte le sergent Expérience. Les policiers sont allés faire du porte-à-porte pour rencontrer toutes les familles du coin, évitant ainsi de cibler celles des jeunes qui consommaient. « On intervient avant de faire de la répression. »

Les jeunes doivent avoir des activités pour se tenir loin de la criminalité, ont-ils tous martelé. Avant, quand les Haïtiens étaient plus nombreux dans le quartier, le basket était à l’honneur, mais désormais, c’est le soccer qui a la cote auprès des jeunes Maghrébins. Le SPVM a créé le projet Soccer à cœur pour prévenir la délinquance.

Le sergent Expérience a aussi mis sur pied un atelier pour faire connaître les métiers d’urgence, comme le sien.

L’objectif est de montrer d’autres avenues aux jeunes. « On s’est rendu compte qu’une problématique de base, c’est l’accès à l’emploi », a conclu le commandant Lizotte, qui a même directement interpellé des employeurs du secteur.

À Saint-Michel, le filet de prévention est manifestement une œuvre commune.

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