Les « faits » douteux de la Fraternité des policiers de Montréal

La Fraternité des policiers et policières de Montréal a souvent été dans les nouvelles ces deux dernières années, et son influence dans les débats publics est significative.

Malheureusement, le syndicat est généralement considéré par les médias comme une source crédible au sujet des questions de sécurité publique, alors que ses déclarations publiques les plus importantes en la matière sont soit hautement douteuses, soit manifestement incorrectes.
Un manque de policiers?

L’une des principales allégations de la Fraternité depuis le milieu de 2021 est que le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) manque d’effectifs.

Le syndicat a fait cette affirmation pour la première fois après une fusillade majeure survenue à Rivière-des-Prairies en août 2021, qui avait accentué la peur suscitée par la violence armée à Montréal. Selon le président de la Fraternité, Yves Francoeur, la hausse de la violence armée résultait d’un « sentiment d’impunité » chez les criminels dans un contexte d’« effectifs [policiers] insuffisants ».

L’idée d’un manque d’effectifs a été consolidée durant la campagne électorale municipale de l’automne 2021. Denis Coderre, candidat à la mairie, avait annoncé en octobre qu’il s’attaquerait au soi-disant manque d’effectifs en engageant 250 policier·ères supplémentaires – le nombre exact dont la Fraternité disait alors avoir besoin. Sa principale rivale dans la course à la mairie, Valérie Plante, avait déjà promis d’embaucher un nombre inférieur d’agent·es. Or, dans la dernière semaine de la campagne électorale, elle a annoncé qu’elle engagerait elle aussi 250 policiers.

Avec un nombre d’agent·es par habitant·es au-dessus de la moyenne canadienne et un taux de criminalité inférieur, Montréal semble avoir non pas un déficit, mais un surplus de policiers.

L’une des grandes réussites de la Fraternité ces deux dernières années a été de transformer une simple opinion – le manque d’effectifs au SPVM – en un fait accepté. Depuis l’automne 2021, il se passe rarement une semaine sans que les médias ou le gouvernement discutent du manque d’effectifs et de ce qu’il faut faire pour y remédier. Le fait qu’il s’agisse à l’origine d’une opinion de la Fraternité et qu’aucune preuve n’ait été soumise pour la justifier semble avoir été oublié.

Les preuves, d’ailleurs, vont plutôt dans le sens inverse. Le SPVM compte plus de policier·ères par habitant·e que toutes les grandes villes du Canada – 26 % de plus que la moyenne pour les dix plus importants corps policiers, selon les chiffres de 2021.

Or, le taux de criminalité à Montréal se trouve sous la moyenne dans les secteurs servis par ces corps policiers, d’après les données de Statistique Canada que j’ai compilées. Il a en outre baissé de près de la moitié (44 %) au cours des vingt dernières années, alors que le nombre de policier·ères augmentait.

Ainsi, par rapport aux autres villes et aux données du passé, Montréal semble présenter non pas un déficit, mais un important surplus de policier·ères.
Du temps supplémentaire obligatoire?

Une affirmation plus récente de la Fraternité, émise pour la première fois en août 2021, nous informe que les policier·ères de Montréal seraient surchargé·es. Ainsi, d’après Yves Francoeur, le manque d’effectifs aurait engendré une situation où « les policiers sont ensevelis de temps supplémentaire obligatoire ».

Depuis, M. Francoeur a soutenu à plusieurs reprises que le « temps supplémentaire obligatoire » est épuisant pour les membres du syndicat, notamment dans une lettre qui leur était adressée le 12 janvier 2023, et qui a été citée dans des dizaines d’organes de presse.

Prétendre que ces heures supplémentaires sont « obligatoires » est extrêmement douteux.

Il ne fait aucun doute que les policier·ères font énormément d’heures supplémentaires. En 2021 et 2022, le SPVM a dépensé 61 millions $ en heures supplémentaires – soit plus que tout autre corps policier canadien.

Cependant, prétendre que ces heures supplémentaires sont « obligatoires » est extrêmement douteux. En effet, en vertu de la Loi sur les normes du travail du Québec, les personnes salariées ne peuvent pas être forcées de travailler plus de deux heures supplémentaires par quart, ou plus de 50 heures par semaine. Il est un peu difficile de croire que la Fraternité autorise des grosses violations du droit du travail.

La réalité est probablement, plus simplement, que les policiers font des heures supplémentaires pour augmenter leurs revenus – ce qui ajoute encore plus au surplus de policiers dans les rues à Montréal.

La Fraternité est loin d’être un organisme crédible.

En tant qu’organisme représentant le corps policier, il est normal que la Fraternité commente des questions concernant le travail de ses membres. Or la Fraternité est loin d’être un organisme crédible. Ce qui n’est pas normal, alors, c’est que ses commentaires sont souvent considérés par les médias et les élu·es comme des faits, alors qu’ils sont infirmés hors de tout doute par des données facilement accessibles.

Les discussions sur la sécurité publique et la sécurité réelle de la population en pâtissent alors.

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