France: Copwatch répond aux questions + le "documentaire-choc" sur cette pratique légale mais "qui énerve tant les flics"

Nous sommes Copwatch : nos réponses à vos questions

Camille Polloni | Journaliste Rue89

Lancé en septembre 2011, le site Copwatch Nord-Ile-de-France a été bloqué moins d’un mois plus tard par la justice, sur demande du ministre de l’Intérieur Claude Guéant, en référé.

Il a suffi d’une nouvelle adresse pour que le collectif qui l’anime, d’inspiration plutôt anarchiste, puisse à nouveau mettre en ligne les textes et photos controversés : identification de policiers jugés « violents » par leur nom, prénom et affectation, photos de leur visage, rapide CV orienté sur leurs agissements.
Slalom

Rien n’interdit de pratiquer le « copwatching », né aux Etats-Unis, si l’on prend garde ensuite à la manière de présenter les images. Comme le rappelait en 2006 une note du ministère de l’Intérieur, « les policiers ne peuvent donc pas s’opposer à ce que leurs interventions soient photographiées ou filmées ». L’enjeu est donc, pour les « copwatcheurs » en herbe, de slalomer entre la diffamation, l’atteinte à la vie privée et la collecte illicite de données.

En mai, un documentaire de Canal + suivait le collectif Copwatch Nord-Ile-de-France dans ses activités, montrant leurs méthodes autant que celles de la police.
Vincent et ses propos racistes sur Facebook

Parfois, un article entier est consacré à un fonctionnaire. C’était le cas en novembre pour un policier appelé Vincent, qui tenait des propos racistes sur son compte Facebook entièrement public. Les informations de Copwatch, vérifiées et développées par Rue89, avaient conduit à l’ouverture d’une enquête interne.

Pourquoi suivent-ils les flics à la trace ? Comment filmer dans une manif sans avoir de problèmes ? Posez-vos questions aux membres du collectif Copwatch Nord-Ile-de-France dans les commentaires, ils vous répondront !
Sélection de réponses

Pooka. La crainte de représailles est le principal argument des policiers contre Copwatch. Prenez-vous en compte ce risque de représailles, vous freine-t-il parfois ?

Le risque de représailles pour les policiers à cause des informations que nous diffusons à leur encontre est nul et nous le savions d’avance.

En France comme dans d’autres pays, s’attaquer physiquement à un policier ou à un gendarme aurait des conséquences terribles au niveau judiciaire pour l’auteur. Pénalement ce serait plusieurs années de prison.

Aux Etats-Unis, cela fait presque 25 ans que le copwatching existe et jamais une seule attaque n’a eu lieu en lien avec le copwatching. Lorsque des policiers se font agresser en France ou ailleurs, c’est généralement des règlements de comptes personnels mais cela n’a aucun rapport avec nous.

BaN. 1) Il y a, semble-t-il, deux collectifs « Copwatch » en France. J’aime bien le vôtre, qu’en est-il de l’autre ? C’était eux ou vous qui étiez sur la ZAD [à Notre-Dame-des-Landes, ndlr] avec des pancartes Copwatch autour du cou ? 2) Lors du filtrage de votre site, des groupes hacktivistes militant pour la liberté d’expression ont mis en place des miroirs pour que vous soyez toujours accessibles en France. En cas de nouvelle interdiction, avez-vous réfléchi à une stratégie permettant de contourner la censure ? Peut-on vous aider ?

Le collectif présent à la ZAD n’a rien à voir avec nous. Il s’agit des Désobéissants de Xavier Renou, qui reprend beaucoup de méthodes d’autres groupes à sa sauce, en médiatisant à outrance. Il cherche avant tout à se faire remarquer. De notre point de vue et si vous allez voir leur site, sur le fond, il n’y a rien.

Concernant l’hacktivisme, il faut savoir qu’officiellement le site est toujours censuré, et c’est nous qui avons fait sauter la censure. Bien entendu, même si nous croyons peu à une nouvelle censure, nous avons un plan B.

De plus, il serait très hypocrite de censurer à nouveau notre site sachant que l’IGPN se sert de nos infos pour enquêter et a également mis en place la plate-forme IGPN accessible pour l’ensemble de la population afin de dénoncer les dérives de nos forces de sécurité. Ils ont créé un site de copwatching étatique.

Marco_garibaldi. Lors d’une manif en novembre dernier (dans le cadre de l’expulsion des deux lycéens), un camarade s’est fait brièvement arrêter, ils prenait en photo plusieurs condés dont ceux en civil.... Le flicard lui a fait effacer (si non c’était « interpelle ») deux photos ou il y avait (soi-disant) deux collègues à lui d’un service « spécialisé » qui apparemment sont protégés par un texte de loi interdisant de les photographier ou de les filmer..... Quelqu’un peut-il le confirmer ?

Rien ne prouve qu’ils appartiennent à des services spécialisés et logiquement on ne crie pas cela tout haut... Un policier en civil reste un policier en civil et il n’est pas marqué sur son front la fonction qu’il occupe. On peut donc le prendre en photo. Ils seraient prêts à n’importe quoi pour vous dissuader de le faire. En revanche même si les photos sont effacées, la carte SD est comme un disque dur, il pourra les récupérer grace à des logiciels téléchargeables sur le net.

En pratique, c’est plus compliqué. Pour exemple, un jour, un policier à fait croire à l’un de nos camarades qu’il appartenait à la DNAT (direction nationale de l’anti-terrorisme). Il voulait que le camarade efface toutes ces photos sous la menace d’une garde à vue de 96 heures. En realité nous possédions sa photo depuis 4 ans. Il appartenait à la BAC. Il s’est surtout ravisé lorsqu’il a vu la caméra cachée.

Yxe Ygrec. Même si la démarche paraît louable, ce n’est ni plus ni moins que de la délation anonyme, puisque les auteurs du site en question se retranchent derrière leur anonymat. Or un accusateur anonyme de personne nommées, ça s’appele un corbeau.

Concernant la délation, le policier ou le gendarme sont des « instruments de l’Etat ». Or dénoncer les dérives d’un fonctionnaire revient à lancer une alerte et non à faire de la délation. N’oublions pas que ces personnes ont beaucoup de pouvoir par rapport à nous tous. On ne dénonce pas un simple citoyen qui par exemple ferait refaire au black sa cuisine. On dénonce les dérives de l’Etat.

Caro. Pour les soutiens aux sans-papiers dont je fais partie, Valls est pire que Guéant. Que pensez-vous du changement de gouvernement dans votre partie ? La police n’a pas changé mais êtes-vous plus libres de dénoncer ses exactions ou pas ?

Que vous ayez un gouvernement d’extrême-droite ou d’extrême-gauche, du centre ou autre... Que vous ayez un Mélenchon ou une Le Pen au pouvoir, la police restera la même. Les individus qui composent les forces de sécurité continueront d’appliquer pour un certain nombre leur idéologie raciste et violente. Entre Sarkozy et Hollande, la police n’a pas changé et ne changera pas. Ce serait une utopie.

Margrave Von Karlebraum. Votre action est louable. Ne risque-t-elle cependant pas de simplement pousser les agents à bien se comporter « au vu et au su de tous », et les bavures d’avoir lieu à d’autres étapes (pendant la garde à vue, notamment) ?

Les tabassages entrainant la mort ou des blessures graves ne s’effectuent presque jamais dans les commissariats. Ces dernières années elles ont surtout eu lieu dans les rues, les fourgons de police, ou même lors de perquisitions. Dans les commissariats il y a des caméras, c’est plus embêtant. Mais vous savez, ce n’est pas ça qui va stopper l’ardeur de certains fonctionnaires.

L’IGPN est obsolète et devrait être refondue sous la forme d’un centre national de contrôle des forces de sécurité qui aurait pour objectif de contrôler policiers et gendarmes. On pourrait penser par exemple infiltrer des unités considérées comme violentes par des policiers exerçant pour cet organisme.

Du coté judiciaire, on pourrait également créer une cour de justice indépendante spécialisée, chargée de traiter uniquement les affaires liées aux forces de l’ordre. Actuellement les juges collaborent avec les policiers et gendarmes pour les enquêtes. Comment voulez-vous qu’ils soient sanctionnés ? Le contrôle de la police est faible en France.

Chat Noir. J’aimais bien le site à ses débuts, je trouvais la démarche intéressante. Hélas, depuis que la gauche est au pouvoir, le site s’est transformé en instrument de propagande politique au détriment des articles relatant le travail sur le terrain. Au lieu de signaler les bavures commises par les policiers dans le cadre de leurs fonctions, vous préférez les traquer sur Facebook alors même qu’ils n’ont pas le monopole en matière de racisme et de bêtise (même si certains d’entre eux en sont de très bon représentants).

Nous faisons à la fois du numérique et du terrain. Nous avons passé un an avec deux journalistes pour monter un reportage sur Canal + dans Spécial Investigation, donc oui nous faisons du terrain. Nous allons sortir un rapport en 2014 sur la Zone de sécurité prioritaire (ZSP) de Barbès et l’agissement des fonctionnaires depuis plusieurs années. Ça prend juste plus de temps à faire car on ne cherche pas le buzz en publiant des images accablantes. Nous cherchons à faire du solide en matière d’enquête.

Philoxera. Copwatch surveille la police, mais qui surveille Copwatch ?

Assez de monde ;)

Cédric.K. Quand bien même chez les policiers et gens d’armes une certaine idéologie très à droite serait surreprésentée, comment se fait-il que Copwatch ne dénonce que ceux-là ?

On ne dénonce pas que les policiers « très à droite ». On a par le passé deja fait le portrait de policiers appartenant à des services de renseignement. Maintenant, lorsque vous êtes quelqu’un de très réactionnaire avec une certaine idéologie, vous allez chercher à rentrer dans des unités de terrain et de maintien de l’ordre. C’est la que l’on retrouve majoritairement ces individus - BAC/GM/CRS/BST/CDI/CI/CS...... Lien et Lien.

Camille Polloni. Une question de la part de « Simone Duchmole », fonctionnaire de police sur Twitter : « Que penseriez-vous de la généralisation des caméras individuelles utilisées par les policiers à chacune de leurs interventions ? »

Ce n’est pas la meilleure solution. Ces caméras n’ont pas une autonomie assez importante pour faire 8 ou 9 heures de suite. De plus, on ne sait pas qui contrôle exactement les images présentes sur les vidéos, on ne sait pas non plus ce qu’elles deviennent. Après, il faut voir que si des policiers font des fautes professionnelles, c’est aussi à cause de la hiérarchie. Eux sont à l’abri et font exercer par les « petits » le sale boulot.

Axelon94. Les partis de gauche sont majoritairement opposés à la vidéosurveillance sous prétexte de liberté individuelle, or votre copwatching correspond bien à la définition de vidéosurveillance. Comment expliquez-vous cette contradiction ?

Il faut savoir renvoyer la balle. C’est très bien de lutter contre la vidéosurveillance, mais malheureusement cela ne l’enrayera pas. Le meilleur moyen de lutter contre ces pratiques de surveillance, c’est en les utilisant et en les retournant contre leur créateur. C’est le principe même du copwatching.

Jmtlg. Vous dénoncez les policiers qui transgressent la loi de par certains « abus », mais ce en transgressant vous-même cette même loi. N’y voyez-vous pas une contradiction ?

Nous n’avons pas transgressé les lois. Et même si nous l’avions fait que dire d’Edward Snowden ? Nous n’avons jamais divulgué d’informations confidentielles, de type adresse ou vie de famille. Nous ne sommes pas Closer. Nous avons toujours fait attention. Dès qu’il y a un doute, nous ne diffusons pas.

Saul. Votre démarche ne masque t-elle pas en réalité une haine de la police ? Que sous couvert de dénoncer les abus, ne s’agit-il pas de se payer du flic tout simplement ? Avez-vous déja, de la même manière que vous avez dénoncé les abus, souligné l’exemplarité de certains policiers, actions policières etc ?

Notre démarche est constructive et n’a pas pour objectif de divulguer la haine. Nos articles ne se font pas du jour au lendemain et nous prenons le temps de les construire en fonction des éléments que nous avons récoltés.

Sur « l’exemplarité », ce n’est pas notre rôle. La presse et les émissions de télévision s’en chargent parfaitement.