La disparition de 43 étudiants provoque la colère des Mexicains

Les recherches se poursuivaient, vendredi 3 octobre, dans l'Etat de Guerrero, dans l'ouest du Mexique, une semaine après la disparition de quarante-trois étudiants dans la ville d'Iguala, à la suite de violents affrontements avec la police, qui ont fait six morts. La veille, dix mille personnes manifestaient dans la région pour dénoncer les dérives sécuritaires et mafieuses des autorités, alors que le pays célébrait le 46e anniversaire d'un massacre d'étudiants à Mexico.

« Nous les voulons vivants ! », scandaient les manifestants dans les rues de Chilpancingo, capitale du Guerrero, en solidarité avec les parents des jeunes disparus vendredi 26 septembre. Ce jour-là, les étudiants d'une Ecole normale manifestaient à Iguala contre la réforme de l'enseignement. Les bus de transport public qu'ils avaient confisqués dans la soirée ont été pris pour cible par des policiers municipaux. Bilan : trois morts et vingt-cinq blessés. Les agents ont aussi attaqué un bus transportant les joueurs d'une équipe de football locale et un taxi, faisant trois victimes supplémentaires. Des témoins assurent avoir vu des dizaines de manifestants se faire emmener par la police municipale.

Depuis, vingt-deux policiers ont été arrêtés, et quatorze des cinquante-sept portés disparus sont réapparus. Les autres restent introuvables. Jeudi, les manifestants ont bloqué l'autoroute qui mène à la station balnéaire d'Acapulco, sur la côte pacifique. La circulation a été rétablie après l'annonce d'une rencontre, vendredi 3 octobre, avec le ministre de l'intérieur, Miguel Angel Osorio Chong.

LES POLICIERS SUSPECTÉS D'ÊTRE LIÉS AU CRIME ORGANISÉ

« Tout est mis en œuvre pour trouver les disparus », assure le gouverneur du Guerrero, Angel Aguirre, qui offre un million de pesos (59 000 euros) pour toute information permettant de les retrouver. Menées par la police et par l'armée, les recherches mobilisent aussi plus de dix-huit cents fonctionnaires locaux. Mais des soupçons sur les liens entre les policiers impliqués dans ces disparitions et le crime organisé font planer un climat d'angoisse au sein de la population. Des inquiétudes attisées par la fuite, mercredi 1er octobre, du maire d'Iguala, Jose Luis Albarca, qui fait l'objet d'un mandat d'arrêt.

« La population est en colère face aux nombreuses violations des droits humains par les autorités, qui ravivent les vieux démons d'un passé autoritaire, marqué par le massacre de Tlatelolco », explique Sergio Barcena, politologue à l'Institut technologique de Monterrey. Le 2 octobre 1968, à Mexico, des militaires ouvraient le feu sur des milliers d'étudiants qui protestaient contre le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), qui a gouverné le pays sans partage soixante et onze durant, jusqu'en 2000. Quarante-six ans plus tard, l'omerta règne toujours sur les circonstances d'une répression qui aurait fait cent cinquante à trois cents morts, selon des enquêtes indépendantes.

« Aujourd'hui, l'Etat central n'est plus aussi autoritaire, souligne M. Barcena. Mais les gouvernements locaux gardent une culture de répression et de corruption, accentuée par l'infiltration des institutions locales par les cartels de la drogue. » D'autant qu'une autre affaire provoque la colère des Mexicains. Le 1er octobre, trois militaires ont été accusés d'avoir assassiné de sang froid vingt-deux délinquants présumés, le 30 juin à Tlalaya, dans l'Etat de Mexico. Cinq autres soldats ont été arrêtés, après un témoignage contredisant l'affirmation précédente de l'armée selon laquelle les victimes avaient trouvé la mort dans un affrontement avec des soldats.

HAUSSE DES DISPARITIONS

Le 29 septembre, la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH) a exprimé sa préoccupation face à « de possibles exécutions extrajudiciaires » à Tlatlaya et à Iguala. Sans compter les dénonciations des organisations non gouvernementales Human Right Watch (HRW) et Amnesty International (AI), de la hausse ces dernières années des actes de torture et des disparitions forcées.

Ces abus relancent la polémique sur le recours à l'armée, accusée de mettre le feu aux poudres, dans la lutte contre le narcotrafic. Le président Enrique Peña Nieto, dont l'élection en juillet 2012 a marqué le retour du PRI au pouvoir, ne parvient pas à mettre fin aux assassinats liés à la guerre des cartels de la drogue, entre eux et contre le gouvernement, qui s'élèvent à six mille depuis janvier, selon le quotidien Milenio, soit plus de quatre-vingt mille morts depuis sept ans et demi. « La protection des droits humains doit être une pratique systématique dans l'exercice de l'autorité », a promis, le 1er octobre, M. Peña Nieto. Le temps presse pour retrouver les disparus d'Iguala. Sinon la politique sécuritaire du gouvernement risque d'être décrédibilisée.