Le phénomène des «suicides par policier interposé» mis au jour

Plus de 25 % des personnes tombées sous les balles d’un policier cherchaient à mettre fin à leurs jours. Dans un ultime geste de « désespoir » ou de « colère », elles ont forcé des agents de la paix à les abattre en mettant volontairement leur sécurité en péril, conclut Annie Gendron, chercheuse à l’École nationale de police du Québec (ENPQ), après avoir passé en revue des dizaines de rapports d’enquête indépendante.

Entre 2006 et 2010, 12 des 47 personnes atteintes de projectiles provenant d’agents de la paix québécois voulaient commettre un « suicide par policier interposé ». « La personne va foncer volontairement vers le policier, même si celui-ci lui dit : “Baisse ton arme ! Je vais devoir faire feu si tu ne baisses pas ton arme !” Elle fonce quand même vers lui et tente de l’agresser, dans l’intention d’être atteinte par un projectile policier », explique Mme Gendron dans un entretien téléphonique avec Le Devoir.

En cinq ans, sept personnes se sont « donné la mort » au moyen de ce « modus operandi » largement méconnu des policiers, indique-t-elle, précisant du même souffle que cinq autres personnes ont subi des blessures.

Parmi les 12 personnes ayant « utilisé » un policier pour s’enlever la vie ou tenter de le faire, « la plupart, sinon toutes », avaient préalablement eu des démêlés judiciaires. Une « proportion très élevée » d’entre elles étaient également atteintes de troubles de santé mentale ou souffraient de problèmes liés à la consommation d’alcool ou de drogue, a noté la chercheuse à l’ENPQ.

Le suicide par policier interposé peut être « spontané », « impulsif » ou, au contraire, « planifié », souligne-t-elle. « Dans certains dossiers, il y avait des lettres qui mentionnaient très clairement l’intention des personnes de provoquer les policiers pour être atteintes par des projectiles policiers. […] Il y en a d’autres où c’est un tout petit peu moins clair », dit Mme Gendron. Elle pointe des « dossiers » de personnes voulant éviter à tout prix de retourner derrière les barreaux. Dans ces cas-là, la décision de se suicider est prise « beaucoup plus sous l’effet de la colère ». « Tout d’un coup, tout se bouscule, elles se sentent prises et ne veulent pas retourner en prison. »

Peu de temps

Par ailleurs, la « très très courte durée » des interventions — majoritairement moins de 10 minutes, parfois deux minutes — laisse peu de temps aux policiers pour comprendre qu’ils ont face à eux un individu animé par une pulsion suicidaire.

Le phénomène du suicide par policier interposé est moins répandu au Québec qu’aux États-Unis et en Australie, où respectivement 35 % et 31 % des individus atteints par des projectiles policiers voulaient se suicider, fait-elle remarquer.

À quelques mois de l’ouverture du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), Mme Gendron recommande une série de mesures afin de l’enrayer. Elle propose notamment aux établissements de santé et de services sociaux et aux corps de police d’accroître le partage d’informations au sujet des « individus à haut risque ». Elle suggère aussi d’« améliorer » la formation policière dispensée à l’ENPQ : « entraîner les policiers à la maîtrise de soi en situation de stress [et à des] stratégies pour étirer le temps », par exemple. « [Une nouvelle simulation] a été intégrée en octobre. Jusqu’à maintenant, il y a eu 150 aspirants policiers qui ont été formés avec cette nouvelle mise en situation », indique de son côté la porte-parole de l’ENPQ, Andrée Doré.

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