Mexique: 10 ans de prison pour des anarchistes québécoises

Deux jeunes Québécoises viennent d'être condamnées à un total de dix années d'incarcération au Mexique pour deux attentats au cocktail Molotov survenus au début de l'année dans la capitale du pays, a appris La Presse.

Fallon Poisson et Amélie Pelletier, deux militantes d'extrême gauche dans la vingtaine, sont détenues à Mexico depuis 10 mois, après avoir été arrêtées le 5 janvier dernier. Et elles risquent fort d'y rester encore longtemps.

Dans les derniers mois, des militants canadiens ont revendiqué deux attentats incendiaires en solidarité avec elles. Après Vancouver l'hiver dernier, le second aurait visé une voie ferrée de l'Estrie et serait survenu au mois de septembre (voir autre texte plus bas).

Le 31 octobre dernier, un tribunal fédéral mexicain a condamné Fallon Poisson et Amélie Pelletier à sept ans et six mois de prison, a confirmé leur avocat en entrevue téléphonique.

Quelques jours plus tard, un autre tribunal mexicain a ajouté deux ans et six mois de détention à leur peine, en plus d'une amende.

«Sept ans, six mois et quinze jours» plus «deux ans et six mois, détaille l'avocat Pedro Raúl Suarez Treviño au bout du fil. Mais je dois dire que cette sentence, nous avons des recours pour la contester.»

Aux côtés d'un coaccusé mexicain, Fallon Rouiller-Poisson et Amélie Trudeau-Pelletier ont été reconnues coupables d'avoir commis des attentats au cocktail Molotov. Selon la justice locale, elles auraient pris part à des attaques contre un concessionnaire Nissan et un édifice gouvernemental de Mexico. L'attaque n'avait fait aucun blessé, mais des véhicules avaient été endommagés.

«Nous avons bon espoir de faire tomber la peine fédérale [de sept ans et demi] parce qu'il y a beaucoup d'éléments illogiques et d'irrégularités», a indiqué M. Suarez Treviño.

«Les deux femmes vont très bien, a-t-il ajouté. Elles savent que le jugement fédéral va tomber parce que c'est une farce.»

Le bureau du procureur général du Mexique n'a pas voulu donner d'information à La Presse sur le dossier. Selon la police mexicaine, une des deux Canadiennes a été vue sortant un sac à dos contenant un certain nombre d'engins explosifs artisanaux le soir des événements.

La mère de Fallon Rouiller, Line Rouiller, n'a pas voulu commenter le dossier. Nous n'avons pas pu joindre la famille d'Amélie Pelletier.

«Combattre l'autorité, ici et ailleurs»

Fallon Poisson et Amélie Pelletier sont des militantes anarchistes qui ont participé aux contestations étudiantes du printemps 2012 au Québec.

Selon plusieurs médias, leur arrestation à Mexico avait été précédée d'un passage au Chiapas, une région du pays connue pour ses forts mouvements de contestation sociale.

Un message attribué à Fallon Poisson et publié sur un site anarchiste peu après leur arrestation affirme que la jeune femme «ne cessera jamais» de «combattre l'autorité, ici et ailleurs».

«Nous sommes de ce côté [des barreaux] et vous, de l'autre côté. Selon l'État, il y a des kilomètres ou des années qui nous séparent. Mais les choses qui nous unissent sont plus grandes», lit-on encore dans ce message.

Dans un autre message, Amélie Pelletier parle de sa «réalité d'anarchiste en prison». Elle critique les militants montréalais qui ont pris part à une manifestation de solidarité avec sa situation parce qu'ils ont évoqué l'ONU «avec un ton réformiste et progressiste» inacceptable pour la jeune anarchiste.

«La prison signifie peur, inconnu, honte, solitude, isolement. La société, c'est le dressage des individus en bons citoyens», écrit-elle aussi. «Je suis ici pour je ne sais combien de temps, mais je ne m'apitoie pas sur mon sort. J'ai confiance que dehors, la lutte continue et les gens se rencontrent, s'aiment, se détestent, vivent, osti.»

Dans leurs messages, les deux jeunes femmes ne parlent jamais directement des faits qui leur sont reprochés.

Leur avocat, Pedro Raúl Suarez Treviño, travaille lui-même au Collectif des avocats zapatistes, un groupe lié à une idéologie mexicaine de gauche.

En plus de nombreux petits méfaits commis sur le territoire mexicain, des militants solidaires de Fallon Poisson, Amélie Pelletier et leur coaccusé Carlos Marín ont revendiqué deux attentats au Canada.

ESTRIE

Le 2 octobre dernier, un groupe anarchiste a revendiqué un attentat à l'engin incendiaire sur une voie ferrée de l'Estrie, geste fait fin septembre «en pensant [...] aux prisonnières Amélie, Fallon et Carlos». Dans une lettre signée «Roi Ludd et son armée de Fénians» et mise en ligne sur un site «anti-prisons et anti-État», un groupe raconte avoir saboté «des câbles de télécomms du train sur la ligne Brigham-Sherbrooke-USA». Pendant la nuit du 21 au 22 septembre dernier, «du carburant a été versé par une petite ouverture dans le coffrage d'acier protégeant les câbles, puis allumé, causant une joyeuse petite explosion de flammes à l'intérieur du conduit», ajoutent les auteurs. La lettre revendique aussi des actes de vandalisme perpétrés «au nom d'Amélie, Fallon et Carlos» contre des affiches annonçant des ensembles résidentiels dans la même région. Un promoteur immobilier de Saint-Étienne-de-Bolton a indiqué à La Presse avoir été la cible de l'un de ces actes de vandalisme, les détails concordant parfaitement avec la lettre de revendication. La Central Maine&Quebec Railway (CMQ) est la seule compagnie ferroviaire active dans cette région. «J'ai vérifié avec notre équipe, et CMQ n'a pas détecté d'incident ou de dommage lié à la lettre que vous m'avez envoyée», a indiqué Gaynor Ryan, directrice générale de l'entreprise. Consultés par La Presse, les services incendies de la région n'avaient pas non plus d'enregistrement d'une quelconque intervention près d'une voie ferrée cette nuit-là.

VANCOUVER

En janvier dernier, la police de Vancouver avait annoncé qu'elle enquêtait sur un incendie suspect qui pourrait être lié à l'incarcération des deux militantes québécoises à Mexico. Un groupe anarchiste avait revendiqué un attentat à l'engin incendiaire contre une succursale de la Banque HSBC au centre-ville de Vancouver. «Nous avons répondu à un appel à la solidarité avec nos camarades anarchistes», pouvait-on lire sur un site de soutien à Fallon Poisson et à Amélie Pelletier. «Nous avons allumé un engin incendiaire dans la section des guichets automatiques de la banque, ce qui a créé une gigantesque boule de feu.» «Des détectives spécialisés dans les incendies criminels enquêtent sur ce cas, a indiqué le porte-parole de la police Randy Fincham. Ils ont été informés de l'existence de revendications en ligne.»