À Nantes, des bars se mobilisent contre le surarmement policier

Une fédération de bars contre le surarmement policier. Une idée a priori incongrue ailleurs qu’à Ferguson. Mais on est bien à Nantes, “capitale nationale voire européenne du flash-ball” grince le militant associatif Luc Douillard. Nantes où cinq personnes ont été mutilées par des armes de ce type, notamment lors de la manifestation du 22 février 2014 contre Notre-Dame-des-Landes. “Nous avons voulu montrer que la résistance face à cela est profondément enracinée dans la ‘vraie’ France des villages et des quartiers, dans les lieux de sociabilité”, poursuit Luc Douillard. Mieux qu’un “Guide du routard” se met ainsi en place une cartographie des cafés de France “rebelles et amicaux” avec l’adresse, les spécificités du café. Tout cela destiné à être mis en ligne. Pourvu que les cafés concernés soient contre ces fameuses armes “non létales”.

“La Perle” est un des établissements pionniers de ce réseau pour l’instant informel. Un “troquet” tout en longueur, dans une ruelle du centre-ville de Nantes, à quelques encablures d’un Mac Do. Ici, la couleur est annoncée d’emblée. Jaune et rouge, avec un gros “Non” sous un avion. Partout des affiches et autocollants de l’ACIPA, la fameuse association en lutte contre l’aéroport. Son patron, Laurent Messager, assume son appartenance à la fédération de bars : “Le pouvoir se permet d’utiliser des moyens terribles, des armes. Je pense à mes deux enfants, ils auraient très bien pu être concernés car ils ont l’âge de Pierre et Quentin, qui se sont fait massacrer. Pour rien.”

Alors que des boutiques étaient saccagées, Quentin Torselli a été gravement blessé le 22 février par un tir de Lanceur de balle de défense (LBD). “J’ai eu 17 fractures autour de l’orbite”, explique-t-il calmement. Pierre Douillard, fils de Luc Douillard, a lui perdu l’usage de son œil droit. Blessé également par un LBD lors d’une manifestation contre l’autonomie des Universités à Nantes, en 2007. Il avait 16 ans. À l’époque, le flash-ball, développé sur instruction du futur ministre de l’Intérieur Claude Guéant, commençait à être détrôné par le LBD. Très critiqué pour son manque de précision, le flash-ball peut être mortel en cas de tir très rapproché. Doté d’un viseur perfectionné de type militaire, le LBD permet un tir beaucoup plus ciblé. C’est bien pour cela qu’il est reproché à la police d’avoir sciemment “visé la tête”.

“Manifester aujourd’hui, c’est se mettre en danger, le surarmement de la police est un point aveugle de la République”, exprime Luc Douillard. Reste que lorsque ces bars se revendiquent comme des endroits “où la police, la violence, le racisme, ne sont pas bienvenus”, ils peuvent prêter à controverse. Mais pour Pierre Douillard, ce qui est en jeu, “c’est la liberté d’expression. Je ne pense pas qu’un barman ira jusqu’à dire ‘je suis anti-police’”. De son côté, la préfecture de Loire-Atlantique se refuse à tout commentaire face à une initiative qu’elle qualifie de “marginale”, ajoutant néanmoins :

“La population, celle qui ne génère pas de trouble à l’ordre public, ne dégrade pas des biens publics ou privés et n’agresse pas les forces de l’ordre, apprécie l’engagement au quotidien des policiers et des gendarmes pour lui porter assistance et assurer sa sécurité.”

Lors d’un entretien donné à Mediapart le 18 avril, Jean-Christophe Bertrand, directeur départemental de la sécurité publique, déclarait : “Ceux qui prennent le risque de s’en prendre aux forces de l’ordre s’exposent eux aussi à des dommages corporels”. Les circonstances de la mutilation de Quentin Torselli n’en demeurent pas moins discutables. Lorsqu’il est touché par un tir de LBD, le jeune homme n’est pas “au contact” avec les forces de l’ordre, comme on peut le voir sur cette vidéo.

“Une enquête judiciaire est en cours et la préfecture ne peut donc pas s’exprimer à ce sujet”, concluent les pouvoirs publics. Fait rare : de nombreux policiers ont été incités à porter plainte de leur côté suite à cette opération de maintien de l’ordre, comme le montre une note de service que nous nous sommes procurée.

Le risque avec ces bavures répétées est que se développe un discours anti-policier à Nantes. On n’entendra rien de tel dans la bouche de Patrick Malassis, qui organise un à deux concerts par week-end au “Canon à Pat”. Et qui a quand même décidé de s’impliquer dans ce nouveau réseau. Sans faire mystère de son soutien aux “Zadistes”, ces groupes squattant le coin de campagne ciblé par le projet de chantier, où s’est cristallisée la résistance à l’aéroport. Ancré “à gauche, la vraie gauche, plutôt contre les injustices”, Patrick Malassis est prêt à dégainer contre les partenariats publics privés (PPP) entre L’État et les “gros bétonneurs. Avec ces PPP, que la Cour des Comptes dénonce régulièrement, on préfère endetter le pays d’avantage afin d’avoir un équipement clinquant le plus rapidement possible.” Pour l’instant, en tout cas, l’équipement en question n’est plus d’actualité. Le renvoi devant le tribunal correctionnel de trois policiers qui avaient éborgné Joachim Gatti lors d’une manifestation à Montreuil- sous-Bois, si.