Pendant ce temps-là, la Cour Supérieure impose un ticket de 1000$ à un cycliste et crée une jurisprudence!

Un jugement de la Cour supérieure étend aux cyclistes plusieurs infractions prévues au Code de la route

13 mars 2014 | Isabelle Paré | Actualités en société

Un juge de la Cour supérieure a créé un précédent en condamnant pour la première fois un cycliste de Longueuil à 1000 $ d’amende pour avoir traversé cavalièrement la voie publique sur un feu rouge. La décision statue que le Code de la sécurité routière (CSR) doit être interprété de façon large, de sorte qu’un cycliste puisse aussi être passible d’une conduite « mettant en péril la sécurité ou la vie des personnes ».

La décision rendue par le juge Guy Cournoyer de la Cour supérieure le 5 décembre 2013 infirme la décision de la Cour municipale, qui avait reconnu le comportement périlleux du cycliste. Mais en dépit des faits incriminants présentés en Cour, révélant que le cycliste avait traversé l’intersection des rues Curé-Poirier et Sainte-Hélène en diagonale au feu rouge sur un tandem, le juge de première instance avait conclu que l’article 327 du CSR ne pouvait s’appliquer qu’aux véhicules à moteur et non aux cyclistes.

Une auto, un vélo, même danger ?

Or, le juge de la Cour supérieure en a décidé tout autrement. Selon ce dernier, l’article 327, qui fait de « la conduite ou d’une action susceptible de mettre en péril la vie ou la sécurité des personnes » une infraction passible de 1000 à 3000 $, doit être interprété de façon beaucoup plus large, ainsi que l’ensemble des articles du CSR. Selon le juge Cournoyer, le CRS doit être analysé en vertu « la méthode moderne d’interprétation législative ».

« À la lecture de l’ensemble du Code, il faut conclure qu’une bicyclette est un “ véhicule ” au sens de la loi », conclut le magistrat.

« Si le législateur avait voulu exclure le conducteur d’une bicyclette de l’application de l’article 327 CSR, il aurait pu le faire en utilisant l’expression “ toute personne autre que le conducteur d’une bicyclette ”. Or, tel n’est pas le cas. Il n’y a donc aucune raison de croire que le législateur voulait exclure le conducteur d’une bicyclette de l’application de cet article », a-t-il tranché, condamnant le défendeur à 1000 $ d’amende.

En clair, le jugement élargit aux cyclistes la portée de plusieurs autres infractions prévues au Code de la route dont le libellé ne mentionne pas spécifiquement les conducteurs de vélos. Cette interprétation « large » expose dans la foulée les cyclistes à des amendes pouvant grimper jusqu’à 3000 $, au lieu des 15 à 30 $ prévus aux infractions nommément liées à la conduite à vélo.

Le juge s’appuie entre autres sur une vision similaire défendue dans l’affaire Lamy-Labrecque c. SAAQ, où était contestée la possibilité d’imposer à des cyclistes des points d’inaptitudes en raison d’infractions commises à bicyclette. Dans cette décision rendue en 2012, la Cour supérieure a jugé que les dispositions du CRS imputant des points d’inaptitude devaient s’appliquer aux conducteurs de bicyclettes pour les « responsabiliser sur le danger qu’ils représentent pour eux-mêmes et pour autrui sur les chemins publics ».

Une portée trop large

Si Vélo Québec applaudit au fait que des sanctions soient imposées aux cyclistes téméraires, l’organisme juge toutefois que la décision ouvre la porte à des amendes inconsidérées. « C’est une bonne chose que les cyclistes qui roulent rapidement ou qui brûlent des feux rouges reçoivent des contraventions. Mais là où on a des réserves, c’est sur le montant de l’amende ! » déplore Suzanne Lareau, la présidente-directrice générale de l’organisme.

Une amende de 1000 $ lui semble d’autant démesurée qu’un automobiliste ouvrant sa portière du côté intérieur de la voie publique ne risque que de recevoir un constat d’infraction de 30 $. Pour Vélo Québec, ces jugements sont la preuve que le Code de la route, totalement désuet, est mûr pour une réforme en profondeur. « Il y a des aberrations, c’est pourquoi on demande une révision depuis des années. Le CSR n’est pas assez précis et n’a pas été revu depuis 1979. Le vélo n’avait pas à l’époque la place qu’il occupe dans la mobilité urbaine », défend-elle.

Pas de surenchère en vue

À l’approche de la saison du vélo, Me Daniel Gauthier, l’avocat qui a défendu la cause pour la Ville de Longueuil, juge que cette nouvelle jurisprudence ne donne pas le feu vert à une surenchère de contraventions salées pour les cyclistes. Même s’il s’agit d’une première, la Cour a appuyé sa décision sur la dangerosité exceptionnelle du cas, croit-il. « Le juge savait fort bien que sa décision ferait jurisprudence, affirme Me Gauthier. Je ne pense pas qu’on va assister à une déferlante de contraventions. Ce qui est clair, c’est que la décision établit qu’un cycliste qui circule en sens inverse sur une grande artère peut être aussi dangereux qu’un véhicule qui roule en sens contraire. »

Infractions à vélo: amendes salées ou cacahuètes?

14 mars 2014 18h50 | Isabelle Paré | Le blogue urbain

Notre texte publié cette semaine sur l'amende de 1000$ imposée par la Cour supérieure à un cycliste de Longueuil a entraîné un déluge de commentaires (plus de 250) sur la page Facebook du Devoir. Presque autant que l'entrée en scène de PKP dans l'arène politique dimanche dernier.

L'amende massue assenée par le juge Guy Cournoyer sème la confusion chez les adeptes du vélo, ravit certains automobilistes mais soulève surtout beaucoup de questions sur la logique qui traverse le Code de la sécurité routière (CSR). Plusieurs de nos lecteurs dénoncent cette décision qui, selon certains, crée «deux poids, deux mesures».

«Est-il déjà arrivé qu'un cycliste happe mortellement un automobiliste. J'en doute fort bien. Les automobilistes aimeraient bien que les cyclistes aient les mêmes sanctions qu'eux, par contre, ils ne sont pas prêts à partager la route», souligne une lectrice. «Ticket mérité, mais montant injustifiable», dit un autre.

«Le montant de l'amende devrait tenir compte du degré de dommage que l'on peut causer. Il est clair qu'un vélo et son utilisateur pesant en tout 100 kg et roulant à 20 km est moins dangereux pour autrui qu'un véhicule automobile de deux tonnes circulant à 50 km», commente l'un deux.

En fait, la plupart des lecteurs se demandent comment un cycliste peut écoper d'une amende salée de 1000 $ pour avoir grillé un feu rouge, alors qu'un automobiliste qui commet la même infraction est passible d'un constat de 138 $ et de trois points d'inaptitude. Bref, des cacahuètes en comparaison de ce cycliste négligent.

Des articles décortiqués

Histoire d'y voir plus clair, nous avons décortiqué et tenté de comparer quelques articles clés du Code de la sécurité routière.

Précisions d'abord que le jugement de la cour ne portait pas sur la contravention octroyée pour avoir contrevenu à l'article 359 du CSR, obligeant un véhicule routier ou une bicyclette à s'immobiliser face à un feu rouge. Cette première amende n'a pas été contestée.

La Cour tranchait plutôt sur le bien-fondé d'une deuxième amende de 1000$, assenée cinq mois plus tard par le service de police de la Ville de Longueuil en vertu de l'article 327 à «quiconque» effectue «toute action ou conduite susceptible de mettre en péril la vie ou la sécurité ces personnes».

Bref, toute la logique du jugement repose sur l'interprétation donnée par le juge Guy Cournoyer à ce fameux «quiconque», qui énonce les peines prévues pour plusieurs autres infractions.

Or, curieusement, les autres gestes passibles d'amendes aussi graves que celle reprochée au fameux cycliste visent notamment la conduite d'une voiture dans le cadre d'une course ou d'un pari (422), ou des actions folles du genre carsurfing, nécessitant de s'accrocher, (433 et 434) ou d'être tiré ou poussé par un véhicule en mouvement. Déjà, on peut s'interroger sur la logique d'assimiler la conduite cycliste à des articles visant visiblement la conduite motorisée.

Cela étant dit, le Code de la sécurité routière ne brille ni par sa précision ni par son modernisme. Pour démêler l'embrouillamini créé par ce jugement, nous publions ici quelques exemples des amendes prévues au Code pour diverses infractions:

Conducteurs:
- Griller un feu rouge: 138 $ + frais + 3 points d'inaptitude
- Ne pas céder le passage aux piétons: 138 $
- Ouvrir sa portière sans prendre de précaution: 30 $
- Conduite avec téléphone cellulaire: 80 à 100 $
- Conduire à 100 km/h dans zone de 40 km/h: autour de 200 $
- Conduite susceptible de mettre la vie ou la sécurité en péril: 1000 à 3000 $

Cyclistes:
- Griller un feu rouge: 27 $ + frais + 3 points inaptitude
- Ne pas céder le passage aux piétons: 27 $
- Circuler avec un baladeur: 30 à 60 $
- Circuler sur le trottoir: 15 à 30 $
- Conduite susceptible de mettre la vie ou la sécurité en péril: 1000 à 3000 $

Marc Jolicoeur, directeur des recherches à Vélo Québec, confirme que la désuétude du Code et l'arrivée de ce nouveau jugement entraîne des illogismes. En général, les amendes imposées aux cyclistes sont cinq fois moindres que celles imposées aux conducteurs, pour des infractions similaires. Or ce 1000$ décrété par la Cour défie toute logique. «Le jugement vient ouvrir la porte à des infractions passant d'un coup de 40 $ à 1000 $, sans gradation. Il faut une réévaluation globale du Code de la sécurité routière. Des infractions qui ont souvent des conséquences graves, comme texter au volant ou ouvrir sa portière sont toujours passibles d'amendes dérisoires pour les conducteurs. Ça n'a pas d'effets dissuasifs sur les automobilistes. Les peines, tant pour les conducteurs que les cyclistes, n'ont pas été indexées depuis des années.»

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