Ukraine: La trêve se transforme en bain de sang sur le Maïdan

Publié le 20 février 2014 à 07h59 | Mis à jour à 07h59

Thibauld MALTERRE, Damien SIMONART
Agence France-Presse
Kiev, Ukraine

Le secouriste s'empresse de faire un massage cardiaque à un jeune homme dont le visage cireux indique pourtant qu'il est déjà mort: jeudi, la police a ouvert le feu à balles réelles contre les manifestants sur le Maïdan à Kiev.

Derrière lui, un prêtre en soutane noire, sur laquelle brille une croix sertie de pierreries, tient une perfusion pour un blessé à la plaie sanglante, autour de laquelle un infirmier découpe au couteau les vêtements.

Désormais surmonté d'un drapeau frappé d'une croix rouge, l'hôtel Ukraïna, immense bâtiment à l'architecture stalinienne qui surplombe le Maïdan, la place de l'Indépendance occupée depuis près de trois mois par des milliers d'opposants au président Viktor Ianoukovitch, est transformé en hôpital de fortune.

Le soleil s'était levé depuis peu, lorsque des opposants, casqués et armés de gourdins, ont escaladé leurs propres barricades avant de se lancer à l'assaut des policiers, qui ont reculé en ouvrant le feu par salves soutenues.

Avec un résultat meurtrier: au moins 25 manifestants ont été tués jeudi dans le centre de Kiev, selon des journalistes de l'AFP, qui ont compté les corps entreposés dans des morgues provisoires, comme à l'hôtel Ukraïna.

«Ils ont été touchés à la tête ou au coeur, par balles réelles, pas par des munitions en caoutchouc», explique Natalia, secouriste, en montrant du doigt un gilet pare-balle ensanglanté, abandonné par terre, portant la marque d'un impact de balle qui l'a traversé.

En face de la réception, sept corps sont allongés par terre, les uns à côté des autres, sous un mince drap blanc faisant office de linceul, mais qui laisse dépasser crâne ou chaussures.

Des flaques de sang éparses tachent le sol, quelques heures seulement après la proclamation par le président Ianoukovitch d'une «trêve» après de précédentes violences, qui avaient fait 25 morts mardi.

«Tout a commencé vers 8 heures, lorsque les Berkout ont voulu incendier le conservatoire de musique», raconte Andriï, un membre du service d'ordre du Maïdan.

Les Berkout, forces spéciales anti-émeute, à l'uniforme et à l'insigne particulier, sont particulièrement haïes et redoutées des manifestants. Le conservatoire héberge des dizaines de manifestants, qui s'y restaurent ou s'y reposent.

Sniper

«On a fait une sortie pour les repousser et ils ont ouvert le feu sur nous, ils ont tiré à la kalachnikov et au fusil de sniper», assure-t-il.

Les policiers ont reculé sur plusieurs centaines de mètres, abandonnant le terrain qu'ils avaient repris lors d'un assaut dans la nuit de mardi à mercredi.

Le ministère de l'Intérieur a affirmé qu'un tireur embusqué avait pris des policiers pour cible et que vingt d'entre eux ont été blessés. Au moins trois policiers ont été capturés par les manifestants, selon une photographe de l'AFP. Leur sort n'est pas connu.

À côté d'Andriï, un homme d'une cinquantaine d'années montre son bouclier en métal, traversé de part en part par une balle sur le côté droit. Il sourit en réalisant qu'il l'a échappé belle.

Sur le Maïdan, la colère initiale s'est muée en gravité et détermination, mobilisant davantage encore les énergies. Des hommes forment une chaîne humaine pour transporter les éléments d'une barricade qu'ils construisent à flanc de colline.

Sur le podium sonorisé installé au centre de la place, un homme lance un appel à la population, pour qu'elle apporte des médicaments et des produits de premiers soins.

Le service d'ordre, qui regroupe une bonne partie des milliers de manifestants du Maïdan, dispose d'un équipement hétéroclite, mais impressionnant: boucliers en métal strictement identiques à ceux des policiers ou en bois, casques de type divers et quelques gilets de protection.

Il arbore surtout une variété d'armes contondantes: battes de baseball, barres de fer, gourdins en bois, marteaux, grappin... Un journaliste de l'AFP a vu aussi un homme avec une carabine de calibre léger.

Répartis en petits groupes à la structure paramilitaire, les militants ont donné l'assaut aux policiers comme des commandos, par bonds, protégés par les boucliers en métal.

Une habitude de la violence issue en partie de la présence de jeunes activistes proches des mouvements radicaux, parfois affiliés à l'extrême-droite nationaliste ou de partisans ultras de soccer, mais aussi nourrie des affrontements réguliers avec la police, comme en janvier ou mardi dernier.

Mais les manifestants comptent aussi des gens issus de tous milieux et de tous âges, comme ces personnes âgées qui aident à dépaver les rues ou ces jeunes filles distribuant des centaines de cocktails Molotov aux gardes en faction sur les barricades.

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