Une arme à létalité réduite a tué Jean-Pierre Bony. Montréal-Nord réagit.

Le meurtre de Jean-Pierre Bony prouve que les armes intermédiaires donnent la possibilité à la police de tirer plus souvent, sans avoir à se justifier, sur les corps qu’elle considère comme « négligeables ».

Le 31 mars, pendant une opération visant le commerce de marijuana, le Groupe tactique d’intervention a tiré à l’aide d’un lanceur de bâtons cinétiques sur Jean-Pierre Bony alors qu’il tentait de s’enfuir. Atteint à la tête, et faisant une chute de plus de 2 mètres, il décèdera 3 jours plus tard. Considérant la situation, il n’y a rien d’étonnant à ce que Jean-Pierre Bony ait cherché à fuir, sachant le traitement notoirement discriminatoire que la police et le système judicaire réservent aux vies noires. Mais pour ces policiers hyper-tendus, excités par leur vision fantasmée de l’autre « dangereux » qu’ils projettent sur la poignée de non-blancs qui se trouvent dans l’appartement ciblé, un homme noir qui tente de s’enfuir est d’emblée disqualifié de tout traitement proportionné. Souvenons-nous qu’en 2008, à quelques pas de là, Jean-Loup Lapointe avait « estimé » que sa vie et celle de sa collègue étaient mises en péril par une bande d’adolescents qui ne faisaient que les invectiver après une intervention qu’ils jugeaient injustifiée (doit-on le rappeler, leur crime était de jouer aux dés dans un stationnement…)

Huit ans plus tard, le frère de Freddy Villaneuva, Dany, après avoir été la cible d’un harcèlement continu de la part de l’appareil policier et judicaire, se retrouve dans la situation hallucinante où un autre de ses proches décède des suites d’une bavure policière, dont la couverture médiatique s’avère aussi vulgaire que celle de son frère. Ironie cruelle qui veut également que l’agent Jean-Loup Lapointe, après avoir tué le jeune Freddy, ait été muté dans le Groupe tactique d’intervention, celui-là même qui a responsable de cette intervention lamentable…

Pourrait-on s’imaginer les policiers tirer sur un suspect blanc de classe moyenne qui tenterait de s’enfuir alors qu’elle viendrait l’arrêter dans un cas de fraude fiscale, par exemple ? Quant à la détention de 200 grammes de marijuana, dont on accuse Jean-Pierre Bony après avoir mensongèrement insinué qu’il vendait du crack, son utilisation pour justifier un assassinat policier est pour le moins effarante, considérant que le gouvernement fédéral est en train de considérer sa légalisation…

Il devient lassant de devoir défendre, encore et toujours, que le tir d’arme intermédiaire n’était ici en rien justifié. De montrer que si cette arme a été dégainée – et le meurtre qu’elle a entrainé généralement accepté – c’est parce que le corps qu’elle a visé ne « compte pas », qu’il n’est pas considéré comme celui d’un citoyen ayant des droits minimaux. Ce mode de partage entre les vies « valables » et les autres est si profondément ancré, qu’il permet sans gêne des déclarations du type « il semble que M. Bonny n’était pas un travailleur social » de la part d’un Luc Ferrandez qui demande pourtant à ce que le Bureau des enquêtes indépendantes se saisisse du dossier.

Les déclarations du SPVM dans les médias le lendemain des « débordements » du 6 mars ne font que confirmer cette vision. Selon Ian Lafrenière, la police aurait délibérément choisi d’éviter la confrontation, car « on s’est rendu compte qui voulaient s’en prendre aux policiers, alors on a déterminé qu’il serait mieux d’attendre ». On peut interpréter cette curieuse non-intervention de deux façons : soit les policier.ères étaient réellement terrorisés par ce « ils » (qui selon leurs « informations » ne viendraient pas du quartier, et en même temps, seraient des membres de gangs de rues locaux…), et auraient réellement préféré laisser casser quelques vitrines plutôt que de mettre leurs corps en jeu. Après tout, le souvenir de la cuisante humiliation du SPVM la nuit du 10 août 2008 n’est pas si lointain dans les rangs policiers. Ou bien, il s’agit d’une stratégie plus cynique de la part du SPVM, consistant à laisser dégénérer la manifestation afin de mieux faire oublier les protestations et demandes d’enquête sur la mort de Jean-Pierre Bony. De toute façon, peu importe comment on l’interprète, il reste que cette gestion de la soirée exploite habilement l’imaginaire social profondément raciste grâce auquel se maintient l’impunité policière.

Car dans le premier cas comme dans l’autre, il s’agit de mobiliser un récit, un imaginaire, qui humanise toujours un peu plus les policiers et déshumanise les « casseurs » de Montréal-Nord. Les déclarations de Lafrenière ne font qu’ajouter une pierre à ce schéma classique : les noir.es, les immigrant.es, particulièrement les jeunes hommes, sont des sauvages qui ne peuvent prétendre à un traitement juste. Leurs demandes de justice ne sont pas admissibles. Quoi qu’ils fassent, ils sont fatalement ramenés à n’être que des criminel.les, des casseurs, des vandales.

Le fait est que, peur ou pas, les policier.ères n’ont pas hésité à utiliser à nouveau le « lanceur de balles de plastique » le soir du 6 avril, pendant la manifestation. Sur la photo ci-dessus, on voit un reste de balle, d’un diamètre d’environ 1 ½ pouce, ramassé pendant la manifestation.

Une jeune femme s’écriait pendant la marche « J’en reviens pas, ils peuvent tuer quelqu’un juste comme ça, pour rien, et nous il faut qu’on fasse tout ça juste pour avoir un peu de justice ! » Telle est la situation paradoxale dans laquelle se retrouvent celles et ceux qui se mobilisent contre les violences policières. Si on reste pacifiques, on n’est pas entendu, on est renvoyé à l’impuissance. Et si on laisse éclater notre colère, on fera parler de nous mais par un discours qui disqualifie d’avance notre légitimité sous prétexte de l’inacceptabilité de la violence. Cette dynamique est particulièrement avérée pour les non-blanc.hes, comme l’a théorisé le mouvement Black Lives Matter.

Par une cruelle ironie du sort, alors que la colère se déchaînait à Montréal Nord, la violence policière sévissait de nouveau à Lac-Simon, près de Val-d’Or, avec le meurtre du jeune anishinaabe Sandy Michel, écrasé par une auto-patrouille avant d’être criblé de balles. Pour son père, Johnny, cette perte vient se rajouter à celle de son fils aîné, également tué par la police en 2009. À l’image du profilage des noirs à Montréal, le harcèlement policier des autochtones au nord du Québec dépasse toute mesure, et n’est compréhensible que comme manifestation d’un racisme généralisé dans les corps policiers. Au summum de l’hypocrisie, l’enquête de ce meurtre commis par une police tribale majoritairement composée de blancs se voit confiée à la Sûreté du Québec, malgré les allégations d’abus sexuels à grande échelle commis par ses agents dans la région, dont l’enquête a elle-même été confiée au SPVM…

Pour toutes ces raisons, réunissons-nous lundi prochain à 19h au métro Saint-Laurent. Pour montrer notre solidarité avec la famille de Sandy Michel et la communauté anishinaabe de Lac-Simon, et pour dénoncer le racisme policier.

Photo : TOMA ISZKOVITS

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