L'acceptation béate de la brutalité policière

Marc-André Cyr
L'auteur est doctorant en science politique à l'UQAM. Sa thèse porte sur l'histoire politique des manifestations et des émeutes au Québec.

La manifestation contre la brutalité policière est chaque année victime... de brutalité policière. Tout comme l'an dernier, la campagne de dénigrement mise en oeuvre par le Service de police de la ville de Montréal fut des plus efficaces. Avant même que le moindre manifestant n'ait pensé participer à la manifestation annuelle, le SPVM, relayé par son puissant service de relations publiques, mettait tout en oeuvre afin de justifier d'éventuelles arrestations.

Cette année, ce fut le bris de quelques voitures de police à quelques jours de la manifestation dans le quartier Saint-Henri qui a permis aux policiers de partir le bal. Il suffit d'entendre Yannick Ouimet du SPVM, qui lançait un message on ne peut plus dirigé vers les manifestants contre la brutalité policière: «Donc on peut croire que le groupe qu'on a ici est un groupe que nous voyons dans des manifestations.» Et pourquoi donc? À cause des tags, des cagoules et des vêtements noirs, «on peut cibler un groupe en particulier», précise-t-il. Des tags, des cagoules et la couleur des vêtements... le profilage racial, comme on le sait, n'est pas seul à influencer les forces de l'ordre, le profilage politique et social, lui aussi, est très répandu.

Les jeunes de la rue, les jeunes immigrants, les anarchistes, de même que tous ces groupes sans représentants officiels pour prendre leur défense, sont bien entendu les cibles parfaites des abus policiers. Depuis 1999 seulement, on compte plus de 3000 arrestations à caractère politique à Montréal - ces nombreuses arrestations de masse furent d'ailleurs dénoncées par l'ONU en 2005. Sans l'ombre d'un doute, les policiers s'en prennent plus sévèrement envers ces «déviants» qui osent remettre en doute leur pratique.

Ce profilage est d'ailleurs bien documenté par plusieurs chercheurs en mouvements sociaux comme J.A. Frank et, dernièrement, la Commission des droits de la personne nous rappelait que le profilage social était malheureusement monnaie courante dans les rangs du SPVM.

Au point de rencontre de la manifestation, au métro Pie-IX, la provocation commencée depuis déjà quelques jours pouvait ainsi se poursuivre en toute légitimité: fermeture du métro, fouilles et vérification illégales d'identités, prises de photographie, confiscation de pancartes et de drapeaux et arrestations arbitraires allaient bon train; sans oublier bien sûr une présence policière pour le moins intimidante: hélicoptère, cavalerie, policiers antiémeutes - par centaines! - se sont mis en frais d'intimider ceux et celles qui ont le «profil» du manifestant (le mauvais, bien sûr).

La manifestation a pourtant débuté dans le calme. Et c'est bien plutôt la peur que la haine que l'on pouvait lire dans les yeux des marcheurs, présents tout autant en souvenir du jeune Villanueva que pour dénoncer le harcèlement dont ils sont victimes quotidiennement dans leur quartier. Au point final de la manifestation, au métro Préfontaine, les quelques centaines de policiers présents sur les lieux ont bloqué la route aux manifestants qui tentaient de se disperser tel que le discours des organisateurs venait de nous le recommander.

Encore une fois, le métro était fermé et les manifestants qui tentaient de se disperser ont été accueillis par la cavalerie et la matraque. On se demande bien quel était l'objectif des policiers. Ils voulaient en découdre? Justifier leur présence qui a certainement entrainé des coups de plusieurs dizaines de milliers de dollars? Ils désiraient montrer aux manifestants qu'ils ne toléraient aucune critique? Quoi qu'il en soit, le tout s'est terminé par plus d'une centaine d'arrestations de manifestants qui tentaient, à ce moment précis, de rentrer chez eux...

Bien entendu, les images présentées seront celles des manifestants masqués et des quelques pierres lancées aux forces de l'ordre: le barrage presque systématique de la route, la provocation des policiers sans uniformes, les insultes à l'endroit des jeunes punks, de même que le coup de matraque que j'ai moi-même reçu dans le dos parce que - semble-t-il - je ne marchais pas au bon endroit, ne seront pas été présenté sur vos écrans, pas plus que dans les pages des journaux.

Ce dont on parlera, ce sera la remise en cause du droit démocratique de manifester sans permis - depuis quand a-t-on besoin d'un permis afin de prendre la parole? -, du refus des organisateurs de donner le parcours aux autorités, du droit de porter la cagoule, etc.

Le prétexte de la police sera le même qu'à chaque année: quelques graffitis, quelques voitures abimées, quelques jets de pierre... sans oublier évidemment les manifestants cagoulés et les slogans vindicatifs. La violence des forces de l'ordre, celle qui possède boucliers, matraques, gaz lacrymogène, «Taser», armes à feu, chevaux, chiens, prisons et forces de loi s'en sortira sans aucune égratignure, sinon celle des quelques pierres inoffensives lancées par ceux que notre société tente de rendre invisibles par diverses mesures répressives.

Il faut le dire: cette intolérance envers la critique porte en elle-même l'acceptation tristement béate de son revers... la violence policière.

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