Plainte pour agression sexuelle: «Comme si c’était de ma faute»

Une adolescente de 17 ans dénonce la façon dont sa plainte pour agression sexuelle a été traitée par un enquêteur de la Sureté du Québec. Son témoignage, d’abord publié sur les réseaux sociaux et abondamment partagé, illustre les difficultés rencontrées par nombre de plaignantes, selon des expertes et des intervenantes du milieu.

« [L’enquêteur] m’a demandé si je trouvais [mon agresseur] attirant, s’il pouvait être mon genre même s’il était plus vieux. Il m’a demandé si j’avais eu une éjaculation féminine, si j’avais eu du plaisir quand il me violait », raconte Erika Vincent, à qui Le Devoir a parlé avec l’autorisation de sa mère puisqu’elle est encore mineure.

La jeune fille de 17 ans a partagé son histoire sur les réseaux sociaux vendredi dernier après avoir appris de la procureure que sa plainte n’était pas retenue, faute de preuves. « J’ai besoin de mettre sur papier et de donner une voix à ce qu’on m’a fait subir », écrit-elle.

Dans la nuit du 10 au 11 août, Erika Vincent aurait été victime d’une agression sexuelle qu’elle a tout de suite dénoncée après que son agresseur présumé l’eut raccompagnée à son domicile, où elle vit avec son copain. Puisque les événements se seraient déroulés dans la banlieue de Québec, la Sûreté du Québec (SQ) a pris en charge sa plainte. Cette même nuit, Erika Vincent fait une déposition chez elle, une autre filmée au poste de police et passe ensuite un examen médico-légal à l’hôpital.

« Le premier enquêteur a été super adéquat. Il est resté calme et m’a laissé prendre mon temps. Il était très empathique », souligne-t-elle. Les choses se compliquent, dit-elle, lorsqu’un second enquêteur reprend son dossier un mois plus tard, l’invitant à le rencontrer au poste de police avec son copain pour répondre à d’autres questions.

« Il était très cru. Il ne me laissait pas vraiment parler et me coupait beaucoup la parole », dit-elle, expliquant avoir dû répondre à des questions « inappropriées » sur son attirance envers son agresseur présumé et sur le plaisir sexuel qu’elle avait pu ressentir.

Humiliée

« Je me sentais comme si c’était moi le problème, comme si c’était de ma faute si j’avais été violée. J’ai trouvé ses questions dégoûtantes », poursuit-elle. « Humiliée », « déstabilisée » et ne se sentant pas en sécurité, elle dit être sortie de la salle en pleurant pour rejoindre son copain, Samuel Bourdeau, qui l’attendait.

Il me disait qu’il avait parlé à mon agresseur, que c’était un bon gars. Comme si c’était une bonne connaissance de qui je voulais prendre des nouvelles"

— Erika Vincent

Celui-ci, avec qui Le Devoir s’est entretenu, confirme l’avoir consolée et encouragée à continuer le processus. Il l’accompagnera pour le reste de l’interrogatoire. « C’était inhumain, elle était bombardée de questions choquantes. On m’a demandé si ma conjointe avait des sécrétions quand elle avait des orgasmes. C’était très intrusif comme questionnaire », soutient l’homme de 21 ans.

Erika Vincent souligne que les suivis téléphoniques ont été très polis, mais que les propos de l’enquêteur l’ébranlaient chaque fois. « Il me disait qu’il avait parlé à mon agresseur, que c’était un bon gars. Comme si c’était une bonne connaissance de qui je voulais prendre des nouvelles. Je me sentais mal après chaque appel. »

Aujourd’hui, elle songe à porter plainte en déontologie contre l’enquêteur et demander une révision de sa plainte pour agression sexuelle. Elle estime que celle-ci n’a pas été traitée avec professionnalisme et qu’elle a été victime de préjugés. « Je suis une personne de couleur, ma mère est haïtienne. J’ai des tatouages, des tresses colorées, je me maquille. J’ai aussi un parcours de vie assez tumultueux, avec un passage en centre jeunesse, en famille d’accueil et une tentative de suicide. En voyant tout ça, l’enquêteur a dû se dire “une autre qui l’a pas eu facile et qui veut de l’attention”. »

N’ayant pu s’entretenir avec l’enquêteur, Le Devoir a choisi de ne pas nommer son nom. La SQ n’a pas souhaité commenter ce cas précis alors qu’aucune plainte n’a pour le moment été déposée contre lui. « Si une personne se sent lésée dans un processus, on prend ça très au sérieux. On invite les gens à porter plainte », précise son porte-parole, le lieutenant Hugo Fournier.

« Aucune pertinence »

« Ces questions sont hautement problématiques. Les liens entre une victime et son agresseur, ses sentiments, la réaction de son corps, tout ça n’a aucune pertinence pour l’enquête. Tout ce qui compte, c’est : voulait-elle cette relation sexuelle ? Était-elle consentante ? » s’offusque Rachel Chagnon, professeure au Département des sciences juridiques de l’UQAM.

Elle note que nombre d’études ont montré qu’il est possible que le corps réagisse de façon mécanique à une agression sexuelle. « C’est prouvé par la science. Je ne comprends pas pourquoi des gens formés pour traiter des dossiers d’agressions sexuelles posent encore de telles questions. »

« Ça nous montre que la culture du viol peut être présente partout. Personne n’est à l’abri des mythes et des préjugés qui persistent envers les victimes, malheureusement », commente de son côté Julie Tremblay, directrice de Viol-Secours, un organisme venant en aide aux victimes. Les témoignages de femmes ressortant humiliées ou insatisfaites du processus de plainte sont fréquents, selon elle.

Mélanie Lemay a vécu un traitement similaire lorsqu’elle a porté plainte pour agression sexuelle en 2016, pour dénoncer un viol qu’elle aurait subi cinq ans plus tôt. Elle raconte avoir été obligée de se mettre à genoux pour mimer son viol lors de la déposition filmée. « Je savais que si ma plainte était retenue, mon agresseur et son avocat auraient accès à cette vidéo. J’ai perdu tous mes moyens. Dans mon cœur, mon âme, j’ai été violée une deuxième fois ce jour-là. C’était tellement dénigrant, c’était de la torture de me demander ça », explique celle qui a depuis cofondé le mouvement Québec contre les violences sexuelles.

Mme Lemay déplore que le système ne soit pas axé davantage sur la réalité des victimes et appelle à un changement radical, afin que les acteurs qui rencontrent les survivantes au cours du processus de plainte soient plus respectueux et empathiques envers elles.

À ses yeux, il serait même préférable que des acteurs du milieu communautaire, habitués à travailler avec les victimes, s’occupent du traitement de tels dossiers. « Je vois mal comment on peut déconstruire toute une trajectoire de vie et une façon d’être lors d’une formation de quelques heures. Beaucoup d’enquêteurs continuent ainsi d’entretenir des stéréotypes ou des préjugés par rapport aux survivantes », regrette-t-elle.

Rachel Chagnon rappelle que les victimes ont le droit de demander à changer d’enquêteur, de réclamer à parler à une femme spécifiquement, ou d’être accompagnées par une intervenante d’un organisme d’aide. Mais peu d’entre elles le savent et rares sont les agents qui le leur indiquent.

La professeure remet aussi en question le travail de certains corps policiers. « Je ne veux pas remettre en question la bonne foi des acteurs, mais je me questionne sur la capacité de certains corps policiers, comme la SQ, à faire leur autocritique et à former davantage les personnes qui doivent l’être. […] Personne ne sait quelles mesures sont prises à la SQ pour améliorer les choses. Le service est très opaque et peu disposé à dialoguer avec la société civile ni même les chercheurs », assure-t-elle, par expérience.

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