Trois policiers, trois verdicts différents devant la Cour

Plus de quatre ans après avoir dénoncé le policier Yannick Levac pour brutalité policière, Kitty Kudluk, une Inuite de Kangirsuk, au Nunavik, a obtenu gain de cause devant les tribunaux. En entrevue au Devoir, la dame dit espérer que son cas puisse encourager d’autres femmes à porter plainte à leur tour.

« C’est finalement terminé, soupire Mme Kudluk au bout du fil. Il a été reconnu coupable. J’espère [que les femmes trouveront le courage de porter plainte et] qu’il n’y aura plus de policiers racistes. »

Le cas de Kitty Kudluck faisait partie d’une série de témoignages recueillis par Le Devoir dans une enquête publiée en décembre 2020 sur les failles du système judiciaire en lien avec les dénonciations faites par des Autochtones contre des policiers. La dame dénonçait notamment les longueurs du processus judiciaire dans ce type de dossier, affirmant qu’elle « regrettait quasiment » d’avoir porté plainte. Aujourd’hui, elle se réjouit de sa victoire et estime que « oui », ça en avait valu la peine.

Le 15 juillet dernier, le juge Paul Chevalier, de la Cour du Québec, a imposé au policier Yannick Levac une peine de probation de 18 mois et 150 heures de travaux communautaires. L’homme demandait une absolution, mais le juge a estimé que celle-ci « serait contraire à l’intérêt public en ce qu’elle donnerait l’impression de ne pas sanctionner le comportement répréhensible de l’accusé cette soirée-là et contribuerait seulement à renforcer le profond sentiment de méfiance qui habite les Inuits envers les policiers ».

Les événements se sont produits le soir du 19 décembre 2016, à Kangirsuk. Ce soir-là, Kitty Kudluk appelle la police pour expulser de son domicile sa sœur intoxiquée. Or, plutôt que de l’aider, le policier, qui ne compte alors que quatre mois d’expérience, décide de l’arrêter.

« La gravité subjective de ce crime résulte également du fait qu’il est commis par un policier à l’égard d’une femme inuite qui avait requis l’aide de la police, mais qui s’est retrouvée arrêtée et violentée », indique le juge Chevalier.

Il précise que la « responsabilité de l’accusé est entière », car non seulement le policier arrête la victime de façon illégale, « mais il persiste à la détenir malgré l’avis de sa coéquipière et continue de la traiter brusquement jusqu’à lui causer des lésions corporelles ».

Cette coéquipière a d’ailleurs informé son supérieur d’un « malaise face à l’intervention effectuée par son collègue, intervention qu’elle estimait illégale », précise le juge. L’enquête interne qui en a résulté a mené à la plainte déposée contre le policier Yannick Levac.

Roger Barnaby

Quelques semaines plus tôt, le 2 juillet, un autre policier accusé à la suite d’une dénonciation faite par une Autochtone était acquitté au palais de justice de New Carlisle, en Gaspésie.

Roger Barnaby, 34 ans, était accusé d’agression sexuelle sur une jeune femme de Listuguj pour des événements survenus en 2017.

Ce soir-là, le policier a invité des amis chez lui pour une petite fête autour d’un feu de camp. Au fil de la soirée, il s’est retrouvé seul avec la plaignante, une jeune fille alors âgée de 18 ans que le tribunal interdit d’identifier. Ils se sont embrassés et ont eu une relation sexuelle. Or, la plaignante était fortement intoxiquée, au point d’avoir perdu le souvenir de la soirée. « Elle se souvient de s’être réveillée alors que l’accusé était en train d’avoir du sexe avec son corps », relate la juge Janick Poirier dans son jugement.

« Le lendemain, la plaignante retourne chez elle et elle est perturbée par la situation, ajoute la juge. Elle est confuse et bouleversée, au point où elle envisage de se pendre. Elle va plutôt voir sa mère et lui annonce qu’elle a été agressée sexuellement. »

Selon la juge, il ne fait aucun doute que la victime n’était « pas en mesure de donner son consentement éclairé » vu son état d’intoxication.

Toutefois, la juge Poirier croit le policier Roger Barnaby lorsque celui-ci indique qu’il était convaincu d’avoir son consentement. Ce dernier a indiqué que la jeune femme marchait droit et qu’elle était en mesure de s’exprimer normalement. « Elle était une participante active et en apparence consentante, ainsi, l’accusé pouvait croire qu’elle était consentante », tranche la juge.

Celle-ci témoigne de son « empathie » pour la plaignante qui a souffert de ces événements. « Néanmoins, les preuves ne convainquent pas la Cour que l’accusé avait des intentions criminelles, loin de là. Il y a beaucoup de place pour le doute raisonnable et naturellement, l’accusé doit en bénéficier. En conséquence, il est acquitté. »

Alex Launière

Un troisième dossier, qui était toujours en cours lors de la publication du dossier du Devoir en décembre dernier, a abouti le 30 avril au palais de justice de Roberval. Le policier Alex Launière était accusé de voies de fait pour des événements survenus à Mashteuiatsh le 22 juillet 2020.

Selon les plaignants, Tommy Bolduc serait passé en voiture près de la résidence de M. Launière. Le policier, qui n’était pas en service au moment des faits allégués, aurait demandé à M. Bolduc de ralentir. Il lui aurait ensuite « donné une claque ».

M. Launière a été mis en état d’arrestation par les enquêteurs du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) le 20 août 2020 et a plaidé non coupable à une accusation de voies de fait le 17 septembre. Deux mois plus tard, son avocate déposait une requête en arrêt des procédures, plaidant que les enquêteurs du BEI n’avaient pas informé l’accusé de son « droit au silence ni de son droit à l’assistance immédiate d’un avocat » lors de son arrestation.

Le juge Rosaire Larouche a donné raison à la défense et ordonné l’arrêt des procédures.

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