Police = Ennemi

Si la police vous semble en ce moment hors de contrôle, c’est que vous n’avez visiblement jamais eu affaire à eux. Elle est parfaitement en contrôle et ce, plus que jamais. Elle fait ce que la police a été conçue pour faire. Si vous pensez qu’il faut réformer la police et purger les têtes brûlées et les pommes pourries de ses rangs pour que cessent sa brutalité inouïe et ses abus de pouvoir, pour que cessent le harcèlement des femmes autochtones, le matraquage des étudiants et la surveillance des journalistes ainsi que tous les autres fauteurs de trouble dont nous faisons vous et moi probablement partie, vous n’avez visiblement pas compris ce qu’est la police et quelle est sa fonction sociale. En ce qui me concerne, je suis assez d’accord avec les situationnistes lorsqu’ils disent que toute bonne critique peut se résumer à un slogan – et il n’y a pas meilleurs slogans que All Cops Are Bastards et Fuck the police. Si vous avez des versions françaises aussi percutantes, je suis preneuse. En attendant, je propose Police = Ennemi, faute de mieux.

Demandez aux policiers de définir leur travail et ils vous répondront « protéger et servir », ce qui est un autre excellent slogan, parce que c’est exactement ce qu’ils font : ils protègent l’ordre établi et servent les intérêts de nos maîtres. Si vous leur demandez d’élaborer un peu plus, ils vous diront qu’ils veillent à maintenir l’ordre, c’est-à-dire de faire en sorte que tout et tous restent à la place qu’on leur a assignée. Cette définition de tâches – similaire à celle d’un comptable, ce qui est loin d’être innocent – est celle à laquelle les politiciens, les juges et les honnêtes citoyens adhèrent unanimement. Ceux et celles qui croient qu’être bien policé, c’est être policé avec le sourire, courtoisie et vouvoiement sont restés accrochés aux jeux de polices et de voleurs de leur enfance, où l’ordre de l’univers était simple : d’un côté les bons et de l’autre les méchants. « Police = Ennemi » ouvre quant à lui un autre horizon, le même qu’ouvrait « Une autre fin du monde est possible » qu’on a vu récemment fleurir sur les murs de Paris. Le monde se meurt et pourrait finir autrement que dans la catastrophe planétaire que le capital nous prépare et la police, qui agit comme garant de ce monde en nous maintenant de force dans ce présent perpétuel, ne peut être rien d’autre qu’un ennemi. Si la police est un ennemi, je dois la traiter en ennemi, c’est-à-dire agir pour la neutraliser, la mettre hors d’état de nuire – l’abolir en tant que dispositif du pouvoir.

La police est une invention récente dans l’histoire de l’humanité. Ce fut (et c’est toujours) une réponse à la création de ce qu’on nomme aujourd’hui les masses urbaines, la place publique, le prolétariat, le peuple. À l’intensification de la domination sociale correspond l’intensification de la surveillance et de la répression de l’insoumission. La police n’est pas là pour réprimer le crime et encore moins pour le prévenir; elle est là pour contrôler les individus pour éviter qu’illes s’agglomèrent en foules, que la foule se transforme en émeute et que ça mène à l’insurrection. Mieux : la criminalité n’existe que par et pour la police; le criminel ne le devient que lorsque la police entre en action et son existence sert en tout premier lieu à justifier l’existence de la police. C’est une vérité de Lapalisse (je vous laisse faire le mauvais jeu de mots) que le policier n’est pas un agent de la paix armé d’un rameau d’olivier, il n’est pas ce pacificateur qui vient alléger les conflits sociaux. Le policier est un ennemi dans le sens militaire du terme; il travaille pour la victoire – la sienne –, pas pour la paix. Le prix de la paix policière est notre reddition dans des termes qui confirment à la fois notre servilité et leur propre pouvoir. La paix policière n’est pas une paix, c’est l’institutionnalisation de la violence exercée contre nous, une violence de classe, raciste et sexiste, qui permet notre exploitation et criminalise quiconque a l’outrecuidance de relever la tête.

Face à l’évidence de cette répression, nous sommes continuellement confrontées à une justification bien rodée et mille fois répétée de la nécessité sociale de la police qui nous sert l’argument odieux que la violence est nécessaire pour neutraliser les éléments les plus dangereux de la société. Suivant cette logique, les policiers mettraient en jeu leur propres corps au nom du bien commun et puisqu’ils sont compris comme le seul rempart nous protégeant contre le chaos et la barbarie, ils seraient un mal nécessaire – voire le socle fragile sur lequel repose la civilisation. Cette narration, comme toute narration digne de ce nom, est au moins partiellement vraie : il s’installe toujours un parfum de violence et de mort lorsque la police se présente sur les lieux. Sauf que cette violence et cette mort, ce ne sont pas les flics qui en sont l’objet; ils en sont plutôt l’agent. Malgré ce qu’ils en disent, les flics font rarement face à un danger réel. Selon Statisique Canada, les accidents de la route sont la principale cause de mortalité des policiers dans l’exercice de leurs fonctions et les chauffeurs de taxi on deux fois plus de chances de se faire assassiner au travail que les flics. Sans compter qu’année après année, le rapport annuel de la CNESST confirme que les bûcherons, les ouvriers de la construction, les infirmières et les manutentionnaires d’entrepôt – bref, les plus esclaves parmi les esclaves et les travailleuses du sexe ne sont même pas inclus dans ces chiffres – sont beaucoup plus souvent blessés, mutilés ou sujets à des maladies professionnelles que les policiers. Et lorsqu’ils subissent vraiment des violences, c’est presque toujours en réponse à une situation de violence qu’ils ont eux-mêmes créé par leurs propres méthodes et leurs propres actions.

Je ne réclame pas une réforme de la police. Je ne veux pas qu’elle soit moins raciste et sexiste. Je ne veux pas qu’elle cesse de taper sans raison sur les pauvres et les marginaux. Je ne veux pas qu’elle soit plus civilisée, plus respectueuse, plus efficace. Je veux que nous agissions pour que leur tâche devienne injustifiable et impossible.

Voilà bien le problème : la plupart des gens de gauche (et parmi eux, des tas d’anarchistes) ne souhaitent pas abolir la police. Ils en veulent seulement à quelques aspects de la fonction policière. Les bons progressistes sages et raisonnables se soucient surtout de restaurer la légitimité politique boiteuse de la police que ses exactions mettent un peu trop en lumière. Voilà pourquoi des types comme le prof Baillargeon glosent sans fin sur des concepts creux comme la démocratie, le peuple et l’« autorité légitime ». Ces bons progressistes sages et raisonnables me disent que « les communautés fortes n’ont pas besoin de police » et proposent des méthodes alternatives de policer, comme les comités citoyens, la justice réparatrice, les patrouilles communautaires. Se policer soi-même leur semble une alternative souhaitable et viable à la police de l’État. Je pense plutôt qu’il est absurde de croire que ces formes sociales soient même possibles en cette fin du monde, dans notre ère de déréliction et de fragmentation, sauf peut-être pour la minorité fortunée et privilégiée qui peut bien rêver de police privée dans ses gated communities libertariennes. Et puis, franchement, vous avez envie de vivre dans une « communauté forte », vous? J’aurais autant peur d’un milicien populaire élu démocratiquement et révocable en tout temps que d’une brute avec un badge et un gun fraîchement sorti de Nicolet.

Surtout, j’en ai marre d’être bonne, sage et raisonnable, parce que ça ne m’a jamais mené à quoi que ce soit. La police me répugne, elle doit être combattue et abolie. Pas réformée, pas remplacée par une version améliorée et sans gluten de la précédente.

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