2012, une résurrection politique au Québec ?

Quelle empreinte reste-t-il du Printemps érable, deux ans après les manifestations ? En 2012, les élections anticipées ont vu l’élection du Parti Québécois (PQ) de Pauline Marois, tombeur du gouvernement libéral de Jean Charest. Pourtant le 7 avril 2014, le PQ perd les élections, et le Parti Libéral revient au pouvoir. Philippe Couillard, ministre de la Santé de 2003 à 2008 sous le gouvernement de Jean Charest, est devenu le nouveau Premier ministre du Québec. Comme si l’effervescence du Printemps érable n’a été qu’un feu de paille…

« Quelque chose de très fort s’est passé pour ceux qui militaient ou gravitaient autour des manifestations », explique Pascale Dufour, spécialiste des mouvements sociaux à l’Université de Montréal (UdeM). « Des profils se sont constitués, que ce soit parmi les étudiants ou ceux du secondaire [lycée]. Dans les milieux urbains, on en parlait énormément. Tout le monde avait plus ou moins un avis », ajoute-t-elle.

À cela, Marcos Ancelovici, professeur au département de sociologie à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), estime qu’il y a « une cohorte étudiante, qui va du Cégep (18 ans) à la Maîtrise (23-24 ans), qui a découvert la politique, le militantisme et l’action collective à travers le mouvement ». En soi, une jeunesse plus politisée que la moyenne.

Le mouvement a été un véritable laboratoire des théories de la mobilisation collective et du jeu politique. Les étudiants, acteurs de leur mobilisation, ont pendant neuf mois été confrontés à la mise en pratique de ces théories, entre jeux de pouvoir, sacrifices et revendications.

Les revendications avant d’être portées par la voie et le nombre dans la rue, ont été construites et débattues – le plus souvent pendant de longues heures – en assemblé générale (AG). C’est durant ces AG – régies par des codes de procédure par exemple, celui de l’Association facultaire étudiante de science politique et droit de l’UQÀM [en pdf] – que les étudiants grévistes ou non, chaque semaine, ont pu débattre au sein de leur association (Science Po, Droit…). Durant ces AG, au-delà du vote de reconduction de grève, c’était avant tout les revendications et le moyen d’action qui ont été élaborés, mais aussi analysés. Mais que sont devenus ces étudiants devenus militants le temps du mouvement ?

Des conséquences sur la vie politique et médiatique québécoises ?

« Aujourd’hui, on commence à voir les trajectoires des militants, qu’ils l’aient été avant le Printemps érable ou pas. Ils sont souvent allés ailleurs, notamment dans les milieux syndicaux », analyse Pascale Dufour, « on commence à les voir d’un autre œil, mais on n’a aucune idée de l’ampleur. On peut supposer qu’il y a un effet, comme dans les études ». Une expérience qui se traduit par une réflexion différente.

Le Printemps va-t-il laisser une empreinte ? Va-t-il influer sur le monde politique et médiatique québécois ? Marcos Ancelovici parle d’un effet évident, celui qui a eu lieu avant même la fin de la grève. « Le fait qu’il y ait eu autant de manifestations au Québec est déjà une conséquence importante. À partir de la loi spéciale 78 [qui réduisait sensiblement le droit de manifestation et de grève], la mobilisation s’est étendue à d’autres secteurs de la population. Ils ne manifestaient pas seulement contre les frais de scolarité », explique-t-il avant d’ajouter, « la grève a marqué le discours politique, les débats, les médias et la population. Il y a eu une transformation du débat, du discours et du langage ».

Aujourd’hui, parmi les collaborateurs de Ricochet, un nouveau journal pan-canadien qui souhaite réinventer l’information indépendante et qui fait beaucoup parler de lui, on compte l’ex-porte-parole Gabriel Nadeau-Dubois et le professeur de philosophie Julien Villeneuve – aussi connu comme Anarchopanda, symbole des manifestants. Dans le même temps, Martine Desjardins continue son chemin comme commentatrice politique et chroniqueuse à la télé et dans la presse écrite.

Un éveil du débat, mais peu de changement électoral

Pour autant, au niveau politique strict, le constat est loin d’être aussi quantifiable. Si certains leaders du mouvement, à l’instar de Martine Desjardins (de la FEUQ) ou de Léo Bureau-Bloins (de la FECQ), se sont lancés dans la politique, dès 2012 ou cette année, ce n’est pas une preuve d’une participation massive des jeunes au processus électoral. L’ancienne leader de la FEUQ n’a pas réussi à se faire élire. Alors que Léo Bureau-Bloins est devenu le plus jeune député de l’histoire de cette assemblée à l’âge de 20 ans, 8 mois et 18 jours, en remportant son élection en 2012. Mais il sera défait en 2014 lors des nouvelles législatives. Malgré l’exposition médiatique et politique du mouvement, il semble que cela n’a pas suffi à les installer durablement comme des alternatives pour les électeurs. Entre un moment politique – le mouvement – et une carrière politique, la marche semble encore aujourd’hui très haute.

Lors de la victoire du Parti Québécois de Pauline Marois à l’occasion des élections anticipées de septembre 2012, la mobilisation de la jeunesse n’a fait aucun doute dans l’issue des résultats. « Ce n’était pas des élections “normales” », estime Pascale Dufour. « Je les inclus dans le conflit étudiant. Depuis, on est revenu aux chiffres à peu près normaux, avec l’exemple des élections de cette année. On ne peut pas dire que ça ait eu un effet direct sur la participation des jeunes. » En 2012, on compte 26% d’augmentation du vote des 18-24 ans par rapport à 2008, d’après le directeur général des élections au Québec. Un véritable boom électoral, les slogans avait trouvé leur écho dans les bulletins de vote… d’une courte tête : 31,95 % pour le PQ de Pauline Marois contre 31,20 % pour les libéraux de Jean Charest.

Lors de la victoire – et le retour au pouvoir – du Parti Libéral le 7 avril dernier, on ne connaît pas encore avec précision le taux de participation des jeunes. Cependant, une légère baisse a été enregistrée de la participation totale : 71,73% contre un peu moins de 75% en 2012. Difficile dans ces conditions d’analyser l’impact ou non du mouvement sur le processus électoral, reste que la victoire écrasante des libéraux (41,52% contre 25,38% pour le PQ), favorable à un nouveau projet de hausse des frais de scolarité des études supérieures, laisse à penser que la vague de renouveau électoral est bel et bien dans le creux.
De nouvelles générations plus politisées ?

Cependant, pour Marcos Ancelovici, il ne fait pas de doute, le rapport des jeunes à la politique à changer : « ça se voit en cours lors des débats sur la mobilisation, la théorie des organisations ou de l’action collective. Tout le monde sait de quoi on parle ». Pascale Dufour explique de son côté que « les jeunes se mettent dans une position plus politisée sans forcément l’exprimer par le vote. Ça peut tendre vers la démocratie participative, par exemple. Et puis c’est très lié au lieu aussi. Il y a eu une mobilisation de très longue durée à Montréal et à Québec donc c’est là qu’il peut y avoir le plus d’impact. Avec ou sans 2012, ce n’est pas la même histoire ! C’est très structurant en terme d’éveil. Des écoles secondaires [lycée, ndlr] ont aussi mené des actions concrètes ».

Margo, 16 ans, est en dernière année de secondaire. En 2012, à 14 ans, elle était en troisième année et a participé à des actions. Pour elle, « le Printemps érable [lui] a ouvert les yeux et fait comprendre beaucoup de choses ». « C’est à partir de ce moment que j’ai commencé à m’impliquer davantage, à faire du bénévolat pour un parti politique en lequel je crois Québec Solidaire [parti de gauche, quatrième force politique de la province, ndlr] et à donner mon avis avec d’autres étudiants plus vieux ».

Les écoles secondaires sont nombreuses à s’être impliquées, et pour le professeur de l’UdeM, c’est « très lié avec la présence de l’ASSE. Ils font un travail d’éducation populaire dans certaines de ces écoles, ce qui est très bien ! Et puis, il y avait aussi des relais comme des anciens qui retournaient dans leur établissement. »

Le Soleil révélait récemment qu’un effort budgétaire de 172 millions de dollars canadiens est demandé aux universités québécoises pour l’année 2014-2015. Une nouvelle réduction des coûts, qui devraient entraîner un nouveau projet de hausse des frais de scolarité par le gouvernement libéral, selon plusieurs observateurs de la vie politique.

Une nouvelle hausse ? Se dirige-t-on vers un automne revendicatif ? « Sur le plan plus théorique, il est très difficile de pouvoir prévoir ce genre de conflit », estime Pascale Dufour. « Pour le moment, je ne pense pas que le gouvernement libéral va chercher à annoncer une mesure drastique au niveau des frais de scolarité. Par contre, on peut imaginer une rentrée sociale plus chargée que les dernières années, mais pas au niveau de 2012. Je ne suis pas certaine qu’on ait les conditions idéales pour un mouvement du même genre. » Ce qui est certain, c’est que la question des coûts de l’éducation reste un débat tendu au Québec, où l’éveil de 2012 n’est jamais loin d’un sursaut.

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