Le droit d’accès à l’information, rempart contre l’impunité policière

e droit d’accès à l’information a récemment agi comme un rempart contre l’impunité policière. La semaine dernière, les documents sur le controversé projet GAMMA (« Guet des activités et des mouvements marginaux et anarchistes ») du Service de police de la ville de Montréal, obtenus dans le cadre de ma recherche doctorale, ont fait la manchette du Devoir, forçant le SPVM à défendre publiquement ses pratiques. Les documents remettent au coeur du débat public l’enjeu du profilage politique et pourraient étoffer la preuve de dossiers présentement devant les tribunaux. L’importance du processus d’obtention de ces documents, qui permet de poser les questions de l’éthique et de la gouvernance de la police, n’a toutefois pas encore été discutée.

C’est le 14 mai dernier que Lina Desbiens, commissaire à la Commission d’accès à l’information du Québec (CAIQ), a ordonné au SPVM de divulguer partiellement des documents internes sur son projet GAMMA, dont l’accès m’était refusé depuis mars 2013.

Un rappel à l’ordre pour la police

La décision est d’une grande importance. Elle réitère que les organismes publics soumis à la Loi sur l’accès, tel le SPVM, ne peuvent se cacher impunément derrière des clauses exceptionnelles. Pour refuser lesdits documents, le SPVM prétendait que ceux-ci révélaient une méthode d’enquête ou un plan d’action destiné à prévenir, détecter ou réprimer le crime, pouvant ainsi nuire à leur efficacité. Le SPVM invoquait également le privilège de l’informateur, destiné à protéger l’identité de celui-ci.

La commissaire insiste : « On ne peut assimiler le privilège relatif aux indicateurs de police à un privilège couvrant toutes les activités policières. » Elle conclut que les pages libérées n’ont pas les effets prétendus par le SPVM et rappelle l’obligation du service de police de donner accès aux documents demandés après en avoir extrait uniquement les renseignements sensibles. Un effort de caviardage que le SPVM n’avait visiblement pas daigné effectuer.

Comment expliquer alors que des démarches de plus de deux ans furent nécessaires pour obtenir ces documents qui contiennent, aux dires de la CAIQ, « des informations générales dont la plupart sont publiques » ?

Techniques d’opacité et protectionnisme institutionnel

Comme d’autres l’ont mentionné avant moi, l’accès à l’information est un véritable champ de contestations dont l’enjeu principal consiste à délimiter ce qui peut être su et connu des actions gouvernementales. La négociation de l’accès à l’information est de nature politique, puisqu’elle est liée à la gestion des perceptions publiques propre aux efforts de communication d’organismes comme le SPVM.

Pour ces bureaucraties, les demandes de documents menaçant les efforts minutieux de contrôle des messages publics ou potentiellement gênants représentent une source d’incertitude et de risque politique. Pour les gérer, les organismes ont recours à ce que d’autres ont nommé des techniques d’opacité, soit toute une gamme de mécanismes formels et informels compliquant et retardant l’accès à l’information. Plusieurs sont d’avis que les bureaucrates spécialisés dans le traitement des demandes d’accès, grandement sollicités, se contentent d’exploiter techniquement et machinalement des zones grises et des trous législatifs pour refuser quasi systématiquement l’accès à l’information.

Ce contexte de protectionnisme institutionnel explique, à mon avis, le délai pour obtenir les documents demandés. Si le SPVM avait déjà déployé des efforts pour contrôler le message public sur GAMMA, la sortie médiatique de nos documents a forcé son porte-parole à admettre que la forme du projet était problématique en raison de l’accent mis sur les idées politiques plutôt que sur les auteurs de crimes. Compte tenu du caractère gênant des documents, il est légitime de considérer comme une technique d’opacité la large interprétation que le SPVM a faite des articles d’exception et du privilège de l’informateur, ainsi que son refus en bloc de caviarder les documents.

On ne peut que saluer la rigueur de la CAIQ et réitérer sa pertinence. Sans elle, aucun débat public informé sur le projet GAMMA n’aurait eu lieu. Par sa décision, la CAIQ a démontré son utilité comme rempart contre l’impunité policière à deux niveaux. Elle a mis un frein aux techniques d’opacité mobilisées par le SPVM, qui avaient pour effet de retenir l’information, mais elle a également permis d’interroger la légalité des activités de GAMMA.

Une seconde demande, ciblant spécifiquement la Direction des opérations du SPVM où GAMMA aurait pris forme, a été faite afin d’éclaircir les circonstances de la mise sur pied et de l’arrêt du projet. J’ose espérer que le SPVM saura dépasser ses réflexes protectionnistes afin d’aider les Québécois à tourner la page et à cicatriser les plaies causées par GAMMA.

Categories

Corp policier (SPVM, SQ, GRC, agent de la STM, etc): 

Type de document: