Le hockey et P6

Si leur équipe remporte le tournoi de la ligue nationale ou si les partisanEs du club de Hockey de Montréal prennent la rue en n’importe quelle circonstance, ils profiteront des dispositions que la municipalité a mis en place conjointement avec le SPVM pour préparer un climat sécuritaire de contrôle. Cependant, ils ne verront pas appliquer envers eux de règlement anti-manifestation parce qu’après quelques déclarations plus [1] ou moins [2] contradictoires [3], il est maintenant décrété d’emblée qu’il s’agirait d’une « manifestation de joie »…

Modifié au Printemps de la matraque de 2012 par les éluEs de la ville de Montréal dans le but d’encadrer le droit de manifester – « encadrer » étant évidemment un euphémisme pour signifier « restreindre » -, le règlement municipal P6 [4], interdisant depuis le port de masques et obligeant la divulgation (et le maintien) d’un itinéraire aux policiers en vue d’obtenir leur approbation (ou leur désapprobation, cela va de soi), constitue un instrument légal puissant laissé entre les mains des policiers, qui l’appliquent selon des critères on ne peut plus flous et leur permet d’appréhender des groupes entiers de gens sur la base d’une simple présomption, sans qu’aucun crime n’ait été commis.

Cette menace de violence psycho-juridique divise les militantEs et effraie bien des indignéEs qui n’osent plus quitter le confort de leur quotidien pour revendiquer dans la rue de manière spontanée et non-encadrée. On voit bien maintenant comment le P6 montréalais, comme son cousin provincial 500.1, sont des moyens redoutablement efficaces de judiciariser et d’interdire les manifestations tout en maintenant l’illusion de respect du droit fondamental de manifester. En utilisant plutôt des règlements municipaux (ou une disposition du code de la route) pour réprimer ceux et celles qui osent emprunter la rue, essentiellement la seule voie publique disponible en ville, la police n’a pas à entreprendre de coûteuses démarches d’accusations criminelles, pour lesquelles il faudra de plus apporter des preuves en cour, elle n’a qu’à donner des constats d’infractions:

«Selon Alain Bourdages, inspecteur chef du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), le problème avec le code criminel, c’est qu’« il faut que l’infraction soit commise pour pouvoir porter une accusation ». En revanche, « le P-6 est un règlement qui se veut préventif au niveau de la violation de la paix », explique-t-il.» (Radio-Canada, 22 avril 2013 [5]).

On oublie aussi souvent que cette nouvelle mouture du règlement, dont les conséquences sur le droit de manifester et le principe démocratique fondamental de la séparation des pouvoirs (entre autres) sont majeures, est un héritage conjoint du gouvernement Charest et de l’administration Tremblay:

«D’abord, le gouvernement Charest voulait ajouter dans son projet une disposition empêchant les manifestants de porter des masques, une demande pressante des policiers. On l’a mise de côté devant l’intention de l’administration de Gérald Tremblay, à Montréal, d’adopter un tel règlement. «On ne prendra pas 14 marteaux pour taper le même clou», a expliqué hier une source très proche de ces réflexions.» (LaPresse, 23 mai 2012 [6]).

Ainsi, en plus de l’obligation de manifester à visage découvert, bien qu’il y ait de nombreuses raisons tout-à-fait légales et légitimes de vouloir se masquer (employés de la fonction publique, ou même des policiers qui seraient quelque peu mal à l’aise face à leurs collègues, par exemple), le droit de manifester à Montréal est maintenant réservé à ceux qui acceptent de nommer un représentant pour transmettre un itinéraire. Cette personne est alors considérée comme représentant la manifestation devant la police, et responsable des actes de tous les participantEs, donc aussi tenue de traiter avec la police pour ajustements afin que la manifestation ne trouble pas trop l’ordre normal de la circulation des voitures. D’ailleurs, l’obligation de transmettre l’itinéraire présuppose qu’une manifestation est non seulement toujours organisable, mais toujours organisée, et qu’un parcours est décidé (bien que souvent, le trajet de la marche soit décidé spontanément à chaque coin de rue).

Que Marc Parent, le directeur du SPVM, ait affirmé au moment de l’adoption de la nouvelle mouture du règlement P6 que ce dernier serait appliqué « avec discernement » par les policiÈREs ne rend évidemment pas moins flous leurs critères, le discernement policier constituant en lui-même un phénomène plutôt flou…

«Les décisions seront prises par les experts en contrôle de foule du SPVM». (Le Devoir, 19 mai 2012 [7]).

Sur quels critères se basent ces « experts » pour décider si une manifestation est tolérable ou pas? Y a-t-il des causes plus légitimes que d’autres selon eux? Y a-t-il des organisateurEs ou des groupes qu’ils jugent plus « acceptables » que d’autres?

Ainsi, profitant de l’indifférence de la population, indifférence elle-même alimentée par l’indifférence des médias corporatifs, le SPVM a appliqué de façon totalement arbitraire le règlement P6 depuis 2012. Alors que plusieurs manifestations dont l’itinéraire ne fut pas communiqué au SPVM ont été prises en souricière avant même leur départ, de nombreuses autres ont été tolérées, malgré la non-divulgation de leur itinéraire, comme ce fut le cas pour la manifestation du 20 avril 2014 pour le Jour de la Terre, qui a empruntée la rue sans l’approbation préalable des autorités.

Sur une période d’un peu moins d’un an, on peut compter 27 manifestations d’envergure et de causes très différentes, pour lesquelles aucun itinéraire n’avait été divulgué à la police, sans avoir été pour autant réprimées, contrairement à ce qu’affirmait Ian Lafrenière, porte-parole du SPVM, en entrevue à la radio [8] la veille de la marche annuelle contre la brutalité policière, répétant qu’il s’agissait de la seule à procéder ainsi:

«Voici la liste que le COBP a créée de toutes les manifs à Montréal dont l’itinéraire n’a pas été remis au policiers (P6), mais qui ont quand même été tolérées (entre le 9 mai 2013 et le 20 avril 2014) [9]:

-9 mai 2013: manif-action organisée par L’OPDS
-18 mai 2013: manif un statut pour toutes et tous, organisée par cité sans frontière
-1er juin 2013 : manif-action à qui la ville, organisée par le POPIR
-9 juin 2013: manif dans Villeray, organisée par l’APAQ
-22 juin 2013: manifestation festive en solidarité avec St-henri, organisée par Cellul
-1er septembre 2013: manif-action pour la sauvegarde des lofts moreau, organisée par le comité-bail hochelaga-maisonneuve
-4 septembre 2013 : manif ressortons nos casseroles, organisée par Occupons le cœur de l’île
-4 septembre 2013 : manif spontanée en soutient à l’expulsion des lofts moreau, organisée par personne en particuler
-9 septembre 2013 : manif en appui aux évincé-es des lofts moreau, organisée par »en appui aux lofts moreau »
-18 octobre 2013 : manif »urgent solidarity with the mi’kmaq lands defenders”, organisée par Dec-line 9
-26 octobre 2013 : manif »sauvons l’hôtel dieu », organisée par le comité logement plateau mont-royal
-2 novembre 2013 : mascarade d’halloween contre l’interdiction de manifester, organisée par l’ASSÉ
-5 novembre 2013 : manifestation anonymous à Montréal, organisée par ???
-15 novembre 2013 : manifestation populaire contre l’austérité, organisée par la CRAM
-15 novembre 2013 : manif révolte contre Harper, organisée par le Qpirg Concordia
-1er février 2014 : manif-action pour 50 000 logements sociaux, organisée par le POPIR
-4 février 2014: manif spontanée dans le cadre de la vigile pour Alain Magloire, organisée par le COBP
-5 février 2014: manif pour la démission de Guy Breton
-9 février 2014 : manif »pour un budget qui redistribue la richesse”, organisée par le FRAPRU
-24 février 2014: manif pour la démission du recteur Guy Breton
-25 février 2014 : La parade des mal logé-es, organisée par le POPIR
-4 mars 2014 : manif ensemble contre l’austérité, organisée par CASA
-7 mars 2014 : manif non-mixte sous le thème du consentement, organisée par le Montreal sisterhood, les Sorcières et le Collectif libertaire de Montréal
-21 mars 2014 : manif contre le colonialisme, le racisme et la charte des valeurs, organisée par No one is illegal
-7 avril 2014: manif du soir des élections:peu importe les résultats, nos revendications restent les mêmes
-20 avril 2014: manif du Jour de la Terre»

Le SPVM nous prouve trop souvent à quel point il est flagrant que le P6 est un règlement dont l’usage est arbitraire, mais il est rare qu’un tel aveu vienne directement de nos éluEs.

C’est pourquoi GAPPA vous présente aujourd’hui Anie Samson, mairesse de l’arrondissement Villeray-Saint-Michel-Parc-Extention et responsable de la Sécurité publique à la ville de Montréal.

Le 23 avril 2013, elle était l’une des éluEs ayant appuyé et voté pour le maintien [10] des nouveaux amendements du règlement P6 (non sans souligner qu’ils n’avaient jamais été vraiment étudiés), rappelant également l’importance du dialogue, et suggérant même la tenue d’une commission ou d’une assemblée publique pour faire toute la lumière sur le suivi du règlement:

«Je pense qu’on a des structures qui nous permettraient de l’envoyer à une commission, à faire une assemblée publique – on doit le faire, on l’a jamais étudié le règlement. Est-ce que ça a été mal fait la première fois, probablement, parce qu’on a pas assuré un comité de suivi pour voir qu’est-ce qu’on peut modifier en cours de route.
Aujourd’hui, un conseiller se lève, un parti politique se lève, parce qu’ils se disent « ah il ya peut-être quelque chose à faire », mais je pense que la sécurité des citoyens, la démocratie mérite plus que ça.
Elle mérite du temps pour qu’on puisse regarder le règlement, qu’on puisse regarder les choses se faire, qu’on puisse établir un dialogue, qu’on puisse rétablir les normes de liberté mais de respect de chacun (…)
Moi ce que je demande comme solution, c’est probablement qu’on puisse s’asseoir à tête reposée, qu’on puisse regarder le règlement, qu’on puisse l’analyser avec des experts, qu’on puisse inviter les gens, qu’on en fasse une commission pour qu’on puisse vraiment l’évaluer, qu’on regarde le pour, qu’on regarde le contre, qu’on le modifie. Je trouve qu’il est prématuré de dire « ça on aime pas ça on l’enlève »…»
(23 avril 2013, Anie Samson, Assemblée du conseil municipal de Montréal [11])

GAPPA attend toujours un comité de suivi, une commission, une assemblée, une invitation, ou plus simplement la trace d’un dialogue où les arguments et analyses de citoyens [12] comme d’éluEs [13] auraient été entendus et compris…

Quoi qu’il en soit, en guise de suivi, voici cette récente entrevue radio [14] du 6 mai 2014, où Anie Samson nous expliquait pourquoi le règlement P6 ne serait pas appliqué si les fans de hockey prenaient la rue suite à un match. Elle a aussi pris soin de révéler la stratégie que les policiers utiliseront pour contrôler la foule, quelle audace!

Et pour finir, pendant que de plus en plus de gens sont conscients que nous vivons dans un état policier, Denis Coderre, maire pro-P6 [15], nous transmet un message qui porte un très grand espoir. Sa prédiction au sujet de l’issue de la série de matchs de hockey opposant le Canadien de Montréal aux Bruins de Boston: CH en 6 [17].

Categories

Corp policier (SPVM, SQ, GRC, agent de la STM, etc): 

Type de document: