Le Canada admet utiliser un logiciel espion, mais pas Pegasus

Les agents fédéraux n’utilisent pas le logiciel espion israélien controversé Pegasus, assure le ministre de la Sécurité publique du Canada, Marco Mendicino, mais bien un autre mouchard capable de soutirer des données aux téléphones intelligents des suspects qui font l’objet d’une enquête.

« Je veux être clair : la technologie Pegasus n’est pas utilisée par la GRC », a répété le ministre aux élus fédéraux membres du Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique (ETHI).

Ce comité parlementaire a lancé lundi l’examen de l’utilisation, depuis plusieurs années, d’un logiciel espion par la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Des responsables du corps policier ont confirmé publiquement être en mesure de recueillir à distance et secrètement les données des téléphones de suspects — des messages textes, des photos, les images de la caméra, des enregistrements de communications privées, les sons à portée du micro, les notes et les entrées du calendrier de l’appareil, par exemple.

La GRC doit demander un mandat à un juge pour utiliser ce logiciel, qualifié d’« outil d’enquête ». Ni le ministre ni la GRC n’ont souhaité dévoiler le nom de la technologie qui serait en possession de la police fédérale depuis au moins 2012.

La députée libérale Lisa Hepfner a lu devant le comité une réponse fournie par la GRC selon laquelle ce logiciel aurait été utilisé pour 32 enquêtes, infectant un total de 49 appareils, depuis 2017. Ces enquêtes auraient été en lien avec des affaires d’enlèvement, de meurtre et de terrorisme, entre autres.

« Ce n’est pas comme si on avait abusé de cette technologie », a-t-elle commenté.

Une série d’articles du site Citizenlab, associé à la Munk School of Global Affairs de l’Université de Toronto, a rapporté dès 2016 l’existence d’un logiciel espion nommé Pegasus, créé par la firme israélienne NSO Group. Le Canada faisait partie des 45 pays où se trouveraient des personnes suspectées d’exploiter ce logiciel.

Le député conservateur de Colombie-Britannique Van Popta a obtenu en juin de cette année une réponse à une question déposée devant le Parlement qui prouve l’utilisation de ce type de logiciels par la GRC. Le programme est nommé Équipe d’accès secret et d’interception des Services d’enquêtes techniques, ou EASI SET. Le député bloquiste René Villemure a ensuite demandé à lancer les travaux du comité parlementaire pendant l’été pour tenter d’en savoir plus.
Transparence

En comparution virtuelle depuis la ville de Québec, le ministre Marco Mendicino a plusieurs fois répété que l’utilisation du logiciel espion est légale et balisée par les tribunaux. Il a souligné à grands traits qu’une certaine « transparence » est nécessaire pour assurer la confiance du public, sans pour autant révéler si d’autres agences fédérales utilisent aussi cet outil informatique.

« Quand une technique comme ça est utilisée, c’est fait d’une manière conforme à la Charte [canadienne des droits et libertés], aux lois sur la vie privée et toutes les autres mesures de transparence. […] Cette forme de surveillance n’est pas le premier recours, un outil de tous les jours, mais plutôt la dernière option quand toutes les autres ont été tentées », a-t-il témoigné.

Des élus de l’opposition ont répliqué au ministre que cela revient à leur demander de le croire sur parole, faute de pouvoir en savoir plus sur les détails du processus. Un constat qui désole aussi Amnistie internationale : « Comme le dirait ma grand-mère, la confiance n’exclut pas le contrôle », lâche Karine Gentelet, membre du collectif Amnistie Tech en entrevue au Devoir.

La professeure à l’Université du Québec en Outaouais croit que la GRC devrait dévoiler quel type de technologie elle utilise, sachant que le logiciel similaire Pegasus a déjà été utilisé par plusieurs pays du monde comme un outil de surveillance de masse. « Ce sont des moyens exceptionnels qui ont une incidence sur les droits de la personne. Qu’est-ce qui me garantit qu’il n’y aura pas de dérapage ? » demande-t-elle.

Des responsables de la GRC ont estimé qu’à peine un enquêteur sur dix qui fait la demande de cette technique en reçoit l’autorisation, une preuve de la rigueur du processus, selon eux.

Du même coup, ils ont souligné que des groupes hostiles peuvent très bien utiliser de tels outils à mauvais escient et espionner des Canadiens. « Vous êtes ciblés. J’ai très peu de doutes là-dessus », a lâché le commissaire adjoint de la police fédérale, Mark Flynn, faisant remarquer aux élus qu’ils ont tous en main un téléphone intelligent.
Une loi plus contraignante demandée

Le commissaire à la vie privée du Canada a affirmé qu’il aurait préféré que la police fédérale le consulte avant de commencer à utiliser de nouveaux et controversés logiciels espions « très puissants et potentiellement intrusifs ».

« L’utilisation d’un logiciel espion soulève des questions de vie privée. […] Ce n’est pas qu’on ne peut pas utiliser l’outil. Peut-être que le critère [d’équilibre avec le respect de la vie privée] a été atteint, mais il faut s’en assurer », a expliqué Philippe Dufresne lors de sa comparution devant le comité.

Malgré son utilisation depuis plusieurs années, le commissaire dit qu’il ne savait pas que ce type de logiciel faisait partie de l’arsenal policier avant de l’apprendre dans les médias cet été. Il doit rencontrer à la fin du mois les responsables de la GRC pour vérifier que les garde-fous nécessaires ont été mis en place pour protéger la vie privée, un « droit fondamental ». « On n’est pas dans une situation où on intercepte un téléphone à fil. Là, il y a énormément d’information dans un téléphone [intelligent]. »

M. Dufresne souhaite qu’une réforme de la loi renforce les pouvoirs de son bureau pour lui donner un rôle obligatoire dans l’évaluation « en amont » des conséquences sur la vie privée de tels programmes. Pour l’instant, seule une politique fédérale interne commande d’évaluer la question de la protection de la vie personnelle, en plus de l’approbation au cas par cas par un juge.

Son prédécesseur, Daniel Therrien, doit comparaître devant le même comité mardi, ainsi que d’autres experts en la matière.

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