Récit d'une personne ayant subi, de façon très concrète, la répression contre les manifestants au G20 à Toronto en été 2010.

Je marchais dans la ville

Ils m'ont écrasé le visage contre le mur de brique

Ils ont fouillé mes poches et mon sac

Ils ont noté mes informations personnelles

Le lendemain matin ils nous ont réveillés avec leurs armes

Ils étaient entrés dans le gymnase

Ils nous ont interdit de bouger pendant quatre heures

Sans boire une gorgé d'eau sans manger ni aller aux toilettes

Mon frère s'est levé et a vomi

Ils nous ont fait sortir les uns après les autres

Ils nous ont menottés aux mains et aux pieds

Nous ont pris en photo

Ils nous ont mis dans un fourgonnette blindée

pour nous amener à l'autre bout de la ville

On se cognait à un mur puis à l'autre du blindé à chaque virage

Attachées aux mains et aux pieds

Des filles tombaient par terre

C'était la canicule

Nous suffoquions

Nous étions coupables d'assemblée illégale

Le véhicule s'est arrêté

À travers les murs on entendait une foule crier

Des gens frapper sur du métal

Un tonnerre de bruits de métal

La foule semblait crier pour demander de la nourriture

Ils nous ont laissées enfermées dans le véhicule pendant une heure

À suffoquer dans le noir et la chaleur étouffante

Ils ont ouvert les portes

Nous étions dans un ancien entrepôt de décors de cinéma

Ils avaient commandé des cages de métal

Avec des toilettes chimiques

Chaque cage était séparée des autres par des feuilles de tôle

Ils avaient construit des murs, des sections dans l'entrepôt énorme

Le processus avait ses étapes, avait été entièrement réfléchit

Dans la première cage nous étions plus d'une vingtaine de filles

Des militantes, des queers, des curieuses, des étudiantes, une activiste, des mères de famille,

des qui avaient étés arrêtées au coin de la rue en allant téléphoner, des femmes de tous les âges et de tous les genres

L'une d'entre elle avait besoin de ses médicaments

Elle était sur le point de s'évanouir

Nous avions les mains attachées serrées avec des tie-wraps

L'air climatisé congelait l'espace

Le plancher de béton était glacé

Il n'y avait qu'un banc trop petit pour se coucher

Une toilette chimique sans porte et sans papier

Et des verres de styromousse qui jonchaient le sol

Au bout de quelques heures

Tout le monde criait dans toutes les cellules

Ou pleurait

Des gens se pètaient des psychoses par manque de médication

Un homme à fauteuil roulant était passé menotté aux pieds

De temps à autre on voyait passer des nouveaux à travers les cages

Tout le monde frappaient les grillages pour l'accueillir et les feuilles de tôles qui nous séparaient faisaient un tintamarre d'enfer

Les policiers se foutaient de nos gueules dès qu'on leur demandait quoique ce soit

Ils bouffaient du chocolat devant nous et nous narguaient

Parfois, entre les cages, certains se mettaient à dix pour hurler un nom en l'air

Cinq secondes plus tard, on entendait dix autres s'étant mis ensemble pour répondre à l'appel

Des frères et des soeurs s'appelaient, des amoureux, des amis

Ils m'ont sortie pour m'amener dans une autre section

Ils m'ont ordonné de me déshabiller

Dans une salle rudimentaire en presswood sans porte

Ils ont pris mes empruntes digitales et ma signature

Ils m'ont dis que j'étais coupable de conspiration

Puis m'ont ramenée dans une autre cage avec d'autres filles

Nous n'avions pas le droit de parler à un avocat

Ni de faire d'appel

Les policiers nous narguaient toujours

Mangeaient devant nous

Nous amenaient des tranches de pain blanc et une tranche de fromage kraft chaque douze heure

Nous n'en mangions même plus

Nous ne dormions pas

Nous ne savions plus le nombre d'heures depuis notre arrestation

Douze heures ou deux jours ?

Nous avions complètement perdu le sens de la temporalité

Claquer des dents de froid pendant combien de jours ?

Sous le néon constant et l'air climatisée

Le temps ne passait plus

Ils nous changeaient souvent de cellule

C'est tout ce qu'ils faisaient

Ils ne comprenaient rien

Ils nous disaient n'importe quoi

Nous faisaient toujours des faux-espoirs

Qui se brisaient à chaque changement de cellule

Ils venaient crier des noms

Et une à une toutes elles partaient

Sauf moi

Ils nous ont remises dans le blindé pour encore nous déplacer ailleurs

Nous voulions obsessivement savoir quand serait le procès

La fin du cauchemard

Comme si nous n'y croyions plus

Il n'y avait plus rien là-bas que nous aurions pu croire

Ils nous ont envoyé dans un centre de détention de femmes

C'était de pire en pire

Elles nous ont confisqué nos vêtements et vêtues de cotton watté vert forêt

Nous ont confisqué nos souliers

M'ont coupé les cheveux pour en enlever les bijoux

Ont forcé pendant une demi-heure sur l'anneau dans mon nez, sans succès

Ont jeté mes effets personnels à la poubelle devant mes yeux et ont mis le reste dans un immense ziploc

Elles m'ont posé toutes les questions

Notant chaque réponse sur une grille

Elles étaient plus que rudes avec nous

Nous étions une dizaine de filles dans une cellule de cinq pieds carrés

Nous sommes restées là plusieurs heures

Puis elles nous ont remises dans le blindé

Pour ailleurs, mais nous savions qu'encore, ce serait pire

Les cellules du palais de justice

Il n'y avait personne

D'un côté il y avait une trentaine de filles dans un cellule

Dans l'autre une dizaine

Mais personne ne passait jamais

Il faisaient toujours aussi froid

Le néon trahissait toujours la temporalité

Empêchait de dormir

Coupait l'appétit

Ils ne nous apportaient plus rien à manger d'ailleurs

Nous ne pleurions même plus

Ils nous avaient dit : le procès, aujourd'hui

Mais comme la juge était fatiguée

Elle remit tout au lendemain

On se remit à crier

Personne ne vint

En toute une nuit

Au matin ils se remirent à appeler des noms qui

peu à peu

quittaient pour dehors

pour dehors vraiment ?

Le procès dans un cubicule vitré menotté aux pieds et aux mains

Théâtre incompréhensible dont tu n'es que le spectateur

Ton propre procès

Personne ne comprend plus rien

En te sortant ils font gaffe de te serrer le bras bien comme il faut

Et dehors : des amis des accolades et des clopes

Mais dehors : toujours la prison

À L'EXTÉRIEUR DES MURS DES PRISONS :

LA PRISON

 

 

Ville où l'événement s'est produit: 

Corp policier (SPVM, SQ, GRC, agent de la STM, etc):