Dommages collatéraux d’une guerre à la drogue dépassée : une autre personne noire perd la vie aux mains de la police de Montréal

par Robyn Maynard (ecrit le 4 avril, traduit en français de l’originale)

Jean-Pierre Bony, un homme noir de 47 ans, a été atteint par une balle de plastique tirée par le Groupe tactique d’intervention du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) à Montréal-Nord. Il est décédé à l’hôpital le dimanche 3 avril 2. L’incident s’est produit pendant une opération antidrogue mineure et de nombreux témoins racontent que la victime n’était pas armée et ne posait pas une menace à l’intégrité physique des agents de police.Jean-PierreBony

Les médias ont déjà commencé à justifier l’intervention violente qui s’est conclue par une blessure mortelle en évoquant la marijuana trouvée sur les lieux . Apparemment, au Canada, différentes règles s’appliqueraient aux personnes blanches et à celles dont la peau est noire. Dans le contexte actuel d’acceptation générale de consommation de cannabis, et vu l’accueil favorable reçu par le plan de décriminalisation de la marijuana présenté par le premier ministre Justin Trudeau, les individus qui cultivent et vendent le cannabis se préparent à devenir d’honnêtes entrepreneurs et sont présentés comme tel par les médias. Partout sur l’île de Vancouver, le cannabis est même déjà vendu « à des fins médicales ».

Pourtant, les Canadiens noirs sont toujours représentés et décrits comme de dangereux criminels en raison de leur implication – réelle ou supposée – dans le commerce de cette même substance. Les communautés noires sont toujours sujettes à des interventions policières planifiées et militarisées. Les personnes noires soupçonnées d’être impliquées dans la distribution du cannabis sont encore perçues comme méritant toutes les formes de violences policières qui leur sont infligées, y compris la mort. Jean-Pierre Bony est décédé suite à une rafle policière visant une substance utilisée à des fins récréatives par un grand nombre de Canadiens et Canadiennes de toutes classes et de toutes origines. Jusqu’à présent, sa mort a été décrite comme un détail mineur et sans importance. Les vies noires, après tout, ne valent pas cher au Canada et Montréal ne fait pas exception.

Des études ont montré qu’au Canada, les Blancs sont plus susceptibles que les Noirs de vendre et de consommer des drogues (1). Pourtant, les personnes noires sont sur représentées dans la surveillance, l’arrestation et l’incarcération depuis que Brian Mulroney a déclaré la « guerre » aux drogues illégales à la fin des années 1980.(2) Pour les Noirs au Canada, la « guerre » à la drogue n’a rien d’une métaphore et l’on peut aisément comprendre pourquoi plusieurs parlent plutôt d’une « guerre aux Noirs ».

Une étude portant sur la couleur de la peau des jeunes arrêtés par le SPVM à Montréal a montré que les jeunes noirs ont sept fois plus de chances d’être arrêtés pour possession ou vente de marijuana que les jeunes blancs. Ce phénomène s’expliquerait par la surveillance excessive dont ils font l’objet, et non par leur sur représentation dans ce commerce (3). Un rapport interne de la police ayant fait l’objet d’une fuite corrobore cette étude : on y apprend qu’en 2006-2007, de 30 à 40 % de tous les jeunes noirs de Saint-Michel et de Montréal-Nord ont fait l’objet de contrôles d’identité « aléatoires », alors que le pourcentage tombe à 5 % chez les Blancs (4). Une enquête menée en 2011 par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec conclut que les jeunes noirs sont souvent ciblés dans les espaces publics comme les parcs et les stations de métro, sont harcelés et sont sommés de se disperser. Des pratiques similaires à Toronto ont été comparées aux lois discriminatoires de l’époque de l’Apartheid en Afrique du Sud par Harry Laforme, criminologue et juge ontarien. Ces pratiques de surveillance étroite sont souvent justifiées par des préjugés associant les communautés noires au danger, à la drogue et aux gangs de rue, malgré le fait qu’en 2009, seulement 1,6 % des crimes rapportés à la police ait été reliés à l’activité des gangs de rue. Ainsi, la surveillance excessive mène à la sur représentation des personnes non blanches dans les cas d’incarcération; le pourcentage de personnes noires incarcérées est actuellement trois fois plus important que leur représentation au sein de la population canadienne, et le taux d’incarcération de Noirs atteint des sommets, ayant augmenté de 69 % entre 2005 et 2015.

Malgré l’augmentation de l’acceptabilité sociale des drogues, les arrestations qui y sont liées ont continué d’augmenter au cours des dernières décennies. En 2011, les arrestations pour production, distribution ou trafic de drogue étaient huit fois plus nombreuses qu’il y a 30 ans, et plus de la moitié (60 %) impliquaient la marijuana(5). Bien que la vente et l’achat de drogues soient un acte consensuel ne faisant pas de victimes, les arrestations qui y sont liées sont menées de manière militaire par des escouades tactiques lourdement armées.

Tout cela survient alors que des experts en santé publique et en droits humains du monde entier appellent de plus en plus à décriminaliser les substances règlementées, bien au-delà du simple cannabis. Un rapport de l’université John Hopkins et de la revue médicale The Lancet, publié la semaine dernière, dénonce les innombrables vies perdues ou détruites en raison d’infractions mineures liées aux drogues, qu’il s’agisse de surdoses, du SIDA ou d’incarcération de masse de personnes noires, résultat de la prohibition des drogues à l’œuvre depuis plus de quarante ans. À ce jour, cette prohibition a causé bien plus de dommages que toute expérience pharmacologique en matière de drogue.

La soi-disant guerre à la drogue vient maintenant de faire une nouvelle victime perçue comme simple dommage collatéral. La mort de Jean-Pierre Bony n’est qu’un épisode du processus de diffamation et de dévaluation des personnes noires au Canada.

La mort insensée de personnes noires aux mains de la police et l’impunité accordée aux policiers impliqués n’a rien de nouveau pour la communauté noire de Montréal. Après le décès du jeune Anthony Griffin, tué d’une balle à la tête en 1987, des révélations publiques ont mis à jour les pratiques de profilage racial à l’encontre des Noirs de la police municipale.

Leslie Presley, un Noir d’origine jamaïcaine de 26 ans, a été tué dans un bar du centre-ville par la police de Montréal en 1990. Fritzgerald Forbes, un autre Noir d’origine jamaïcaine, est mort à 22 ans d’un arrêté cardio-respiratoire peu après avoir été arrêté dans Parc-Extension. Marcellus François, un autre Jamaïcain de 24 ans, non armé, a été tué par une mitraillette M-16 en 1991. Bien que ce dernier n’ait pas été armé ni recherché par la police, les policiers impliqués ont été innocentésLa même année, F.. En 1993, Trevor Kelly, un Jamaïcain de 43 ans, a perdu la vie après avoir été atteint dans le dos par la police de Montréal. Rohan Wilson, un immigrant de 28 ans originaire de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, est décédé à NDG en 2004 de ce que le coroner a appelé « une mort violente accidentelle » causée par une intoxication à l’alcool à la suite d’une intervention policière impliquant six agents. En 2007, Quilem Registre, un montréalais Noir, a brûlé un feu rouge et foncé dans une voiture. Il a par la suite reçu de nombreuses décharges de tasers infligées par la police et est mort à l’hôpital quatre jours plus tard(6). Alain Magloire, un itinérant noir de 41 ans aux prises avec des problèmes de santé mentale, a été tué par la police en 2013 alors qu’il était en crise et avait un marteau à la main. Une fois de plus, les policiers impliqués s’en sont tirés sans accusation.

Il est difficile, voire même impossible, de faire confiance aux enquêtes portant sur les décès causés par la police à Montréal. Le Québec ne compte aucune structure indépendante d’enquête en la matière. La pratique est de confier les enquêtes sur les morts causées par le SPVM à la police provinciale, la Sûreté du Québec (SQ). De façon routinière, à la suite de ses enquêtes, la SQ exonère le SPVM de chaque décès. Plusieurs militants et experts juridiques estiment qu’il y a un conflit d’intérêt évident lorsque la police enquête sur la police. La SQ fait actuellement l’objet d’une enquête à la suite de nombreuses allégations sérieuses d’agression sexuelle, d’abus et de violences gratuites envers des femmes autochtones, qui se seraient déroulées pendant des décennies. Conséquemment, il est risible de penser que la SQ est « neutre » lorsqu’elle enquête sur de possibles abus policiers envers des personnes racisées. Dans ce contexte, il est bien peu probable qu’on demande à un agent de police responsable de la mort d’un homme noir non armé de rendre des comptes.

La violence policière impunie n’est pas réservée aux hommes noirs. Majiza Phillip, une femme noire, chef et professeure de danse, sortait pour célébrer son 26e anniversaire en 2014. À la suite d’une interaction non violente avec un agent de police qui donnait une contravention à l’une de ses amies, un agent lui a cassé un bras et l’a amenée au poste, menottée, l’interrogeant malgré sa blessure. Plutôt que de recevoir des réparations, elle a été accusée d’agression contre deux agents de police, d’obstruction à la justice et d’avoir résisté à son arrestation.

La dévaluation systémique de la vie des personnes noires est une réalité canadienne. En Ontario, le criminologue Scot Wortely a démontré que les personnes noires sont dix fois plus susceptibles d’être tuées par la police que les personnes blanches, et qu’elles meurent en nombres disproportionnés aux mains de la police. La coalition Black Lives Matter — Toronto en est à sa troisième semaine d’occupation devant le quartier général de la police de Toronto. Une centaine de professeurs d’université noirs ont signé l’appel de la coalition pour faire cesser le racisme et la violence dirigée contre les Noirs par la police de la ville. Entre autres revendications, ils exigent que le maire et le conseil municipal s’occupent du cas de Andrew Loku, un homme noir père de cinq enfants tué par la police et dont le meurtrier ne fera pas face à un procès.

Tant et aussi longtemps que la logique militaire et raciste de la guerre à la drogue ne sera pas anéantie et que le racisme systémique envers les Noirs perdurera, les blessures infligées aux communautés noires par le profilage ethnique, l’incarcération et le meurtre insensé par la police continueront de s’accumuler. La mort de Jean-Pierre Bony ne doit pas passer sous silence si nous voulons lutter pour une société dans laquelle la vie des personnes noires a autant de valeur que celle des autres.

1. Owusu-Bempah, A., & Wortley, S. (2014). Race, crime, and criminal justice in Canada.The oxford handbook of ethnicity, crime and immigration, 281-320.

2. Jean-PierreBonyReport on the Commission on Systemic Racism in the Criminal Justice System in Ontario, 1995.

3.Revue du Cremis. Automne 2009, Vol. 1, No. 3, Inegalites sociales, Discriminations, Pratiques alternatives de citoyennete. A la porte du systeme penal . “La surrepresentation des jeunes Noirs montrealais”. Leonel Bernard, Crhistopher McAll. (15-21)

4. Charest 2009, Mécontentement populaire et pratiques d’interpellations du SPVM depuis 2005: Doit-on garder le cap après la tempête? Mathieu Charest.http://www.spvm.qc.ca/upload/documentations/Mecontentement_populaire_et_...

5. For more information on all these deaths and more, visit http://www.flics-assassins.net

5. Statistics Canada 2012

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