À qui veut bien l’entendre

Un soir d’octobre, deux jeunes ont présenté une pétition au conseil d’arrondissement de Montréal-Nord. Tous deux avaient eu des démêlés avec la justice. Tous deux avaient vu des amis mourir durant l’été.

Le libellé de leur pétition se lisait comme suit :

« À qui veut bien l’entendre :

Nous, jeunes résidents du secteur Nord-Est de Montréal-Nord, désirons travailler et sortir de la rue pour notre bien-être et celui de la collectivité. Nous souhaitons seulement avoir accès à des emplois avec salaires et conditions respectables. MERCI ! »

Au nom de plusieurs dizaines de jeunes marginalisés, ils ont réclamé au maire de l’époque, Gilles Deguire – qui a démissionné en janvier, après avoir été accusé d’agression sexuelle sur une personne mineure –, des moyens de se sortir de la misère.

C’est ainsi qu’est né le projet-pilote Voie d’accès. Un projet prometteur dont le but est de donner les moyens à 20 jeunes de Montréal-Nord, ayant pour la plupart des antécédents judiciaires, de se reprendre en main.

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Ces jeunes ne manquent pas de volonté. Mais ils manquent souvent de moyens. Ce sont des jeunes « hors système » qui ont du mal à faire confiance au système. Des jeunes qui se butent au double discours d’une société qui leur dit de se reprendre en main tout en refusant trop souvent de leur donner la chance de le faire.

Parlez-en à Carlos*, un des participants du projet mis sur pied par Évolu-Jeunes, en partenariat avec le Carrefour Jeunesse-Emploi Bourassa-Sauvé, l’arrondissement et la Ville de Montréal. « On se fait toujours fermer la porte au nez quand on a un dossier », dit le jeune homme de 27 ans.

La réhabilitation est un beau principe auquel trop peu d’employeurs croient, souligne Frantz Jean-Jacques, directeur d’Évolu-Jeunes, qui vient en aide aux jeunes de 19 à 30 ans ayant des démêlés avec la justice. Trop de jeunes qui ne demandent qu’une deuxième chance peinent à l’obtenir.

« C’est comme si on leur disait : “Reprenez-vous en main. Mais vivez de la criminalité !” Parce qu’on ne leur donne pas d’autres options. Pourtant, la réinsertion sociale doit faire partie de nos valeurs. »

Carlos est père de trois enfants. Il a décroché à l’âge de 16 ans. Il a frayé avec un gang de rue. Il a fait de la prison. À sa sortie, il était déboussolé. Quand des gens d’Évolu-Jeunes lui ont proposé de l’aider, il était sceptique. « Au début, je n’y croyais pas. Aujourd’hui, je me dis, si ça n’avait pas été d’eux, je ne serais pas où je suis. »

S’il veut tant s’en sortir, c’est pour montrer l’exemple à ses enfants. Quand sa fille lui a dit : « Papa, est-ce que t’as fini l’école, toi ? », il a été obligé de lui dire non. « Elle a dit : Ah ! Moi, non plus, alors ! » Rien ne pouvait le fouetter davantage.

Le projet d’Évolu-Jeunes lui a permis de ne pas décevoir ses enfants. Et par le fait même, de ne pas se décevoir lui-même. « Je suis retourné aux études. Et je suis en recherche d’emploi. » Si tout va bien, il obtiendra son diplôme d’études secondaires sous peu. Il rêve de devenir électricien. « Ces gens m’ont redonné l’espérance. »

Myriam, une autre des participantes du projet Voie d’accès, abonde dans le même sens. À 18 ans, sa vie a déraillé. « J’ai fait une erreur de jeunesse qui a fait en sorte que j’ai eu malheureusement un dossier criminel. » Grâce à l’aide de Frantz Jean-Jacques, elle a pu être accompagnée dans ses démarches de réhabilitation et faire les travaux communautaires exigés par la cour. Le fait d’avoir un casier judiciaire lui a fermé bien des portes. Mais ce projet l’aide à mieux voir les portes qui restent ouvertes pour elle. « Frantz m’a donné un soutien. Il m’a fait comprendre que j’ai du potentiel et qu’il ne faut pas lâcher. »

J’aurais pu aussi vous parler de Steven, 22 ans, qui a décroché en 2012 et travaille fort pour retrouver sa voie. Ou de Bob, 21 ans, qui, après avoir eu des démêlés avec la justice, a interrompu ses études et travaille tout aussi fort pour retourner sur les bancs d’école.

Le projet est encadré par des intervenantes et un conseiller en emploi qui suivent de près chacun des participants. Ils les écoutent et les motivent. « On rencontre beaucoup de gens qui expriment de la souffrance, dit l’intervenante Sarah Chakroun. Mais beaucoup d’espérance aussi. »

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« Voie d’accès est un projet-vedette dont on est très fiers », dit Claudel Toussaint, directeur de la culture, des sports, des loisirs et du développement social à Montréal-Nord. « C’est un projet phare pour nous à l’arrondissement. »

Cela dit, aussi prometteur soit-il, ce projet n’est qu’un projet. Des initiatives communautaires inspirantes menées par des gens de cœur, il y en a beaucoup à Montréal-Nord. Mais cela ne remplace pas un réel plan de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale dont a cruellement besoin le quartier.

Rappelons qu’en 2013, à la suite de l’enquête sur la mort de Fredy Villanueva, le coroner André Perreault recommandait à la Ville de Montréal et au conseil d’arrondissement de Montréal-Nord la mise sur pied d’un plan de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Près de trois ans plus tard, si des initiatives ont vu le jour çà et là, l’équipe du maire Denis Coderre n’a toujours pas donné suite à cette recommandation.

« C’était la seule recommandation qui avait été faite à la Ville de Montréal et à l’arrondissement ! », rappelle Kerlande Mibel, candidate pour Projet Montréal à la mairie de Montréal-Nord, qui s’est engagée à mettre sur pied le plan tant attendu si elle est élue le 24 avril.

« On est trois ans plus tard et l’arrondissement n’a rien fait pour créer une synergie. Montréal-Nord est toujours l’arrondissement le plus pauvre avec un taux de chômage assez élevé. Il n’y a pas de leadership de la part de l’arrondissement. »

Un projet-pilote, c’est bien. Mais un vrai pilote dans l’avion de Montréal-Nord, ce serait mieux.

* Les prénoms sont fictifs afin de ne pas nuire aux efforts de réhabilitation des participants.

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