L’intervention policière a joué un «rôle déterminant» dans le décès de Koray Kevin Celik, selon le coroner

L’intervention du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) au domicile de la famille Celik, il y a cinq ans, « a joué un rôle déterminant dans le décès de M. [Koray Kevin] Celik », selon le coroner.

Le jeune homme de 28 ans est décédé sous les yeux de ses parents, le 6 mars 2017, lorsque des policiers ont tenté de le maîtriser au domicile familial de L’Île-Bizard, dans l’ouest de Montréal.

Les agents du SPVM en question n’ont pas agi « en application des principes élémentaires d’une bonne intervention policière », selon le rapport du coroner, « et la situation a dégénéré ».

Rappelons que ce sont les parents qui ont appelé le 911, le soir du drame. Leur fils, qui avait consommé plusieurs substances, voulait quitter la résidence au volant d’une voiture. Quelque 18 minutes plus tard, deux policiers — les agents Bélair et Bujold — arrivent sur les lieux. Ils seront ensuite rejoints par les agents Babin et Brassard.

Tandis que l’agent Bélair se rend dans le garage, l’agente Bujold entre seule dans la résidence. Elle se dirige, accompagnée par la mère, vers la chambre du jeune homme. Il en sort, mais dérangé par la lampe de poche de la policière, il demande à Mme Bujold de l’éteindre, ce qu’elle refuse de faire. « Une confrontation verbale débute entre les deux », écrit le coroner.

M. Celik se rapproche de l’agente. « Craignant pour sa vie », elle fait une frappe de diversion sur la cuisse de l’homme avec son bâton télescopique, mais il ne réagit pas.

« En allant comme elle l’a fait, seule vers M. Celik, elle a mis sa vie en danger et, ultimement, provoqué une cascade d’événements avec le résultat que l’on connaît », juge le coroner.

Mme Bujold est rejointe par ses collègues. L’agent Babin, qui craint pour la sécurité de la policière, « agrippe M. Celik pour le pousser contre le mur, puis le projeter au sol ». À quatre, ils tentent de menotter l’homme, alors qu’il se « débat vigoureusement », « couché sur le ventre ».

Une fois M. Celik menotté, les policiers « constatent qu’il ne respire plus ». Urgences-santé est appelé, et les manœuvres de réanimation sont immédiatement commencées par les policiers. Le jeune homme est déclaré décédé près de trois heures plus tard.

Comme l’affirment les parents, M. Celik, qui était, certes, « menaçant » et « non coopératif », n’a « jamais porté le moindre coup aux policiers », avance le coroner. Bien que les policiers nient avoir asséné plus qu’un coup de genou à la cuisse, le rapport d’autopsie fait état d’érosions et de contusions dont on ne peut « exclure qu’elles aient été occasionnées par des coups ». Du sang de M. Celik a été retrouvé sur le sol.

Cet usage de la force était-il justifié ? « Les policiers ont le droit d’utiliser la force nécessaire pour contrer une situation qui met en danger leur vie, soutient le coroner. […] Mais […] je considère que ce principe et cette justification de la force ne peuvent trouver application dans une situation où les policiers se sont mis eux-mêmes en danger et ont provoqué l’utilisation de la force. »
Erreurs de procédure

Selon Bruno Poulin, expert en emploi de la force qui est cité dans le rapport, des informations supplémentaires auraient pu être utiles aux policiers avant leur intervention, notamment que M. Celik « a un comportement autodestructeur et qu’il n’est pas agressif envers les parents ». Des « commentaires méprisants envers les policiers » ont aussi été entendus lors de l’appel au 911.

Par ailleurs, « hormis pour les renseignements sommaires de la carte d’appel, il n’y a eu aucune collecte d’information et aucune planification entre les [deux premiers] agents », indique Me Luc Malouin.

L’intervention était pourtant un appel « de routine », auquel les policiers ont l’habitude de répondre. Mais, selon le coroner, un appel de routine « peut toujours mal tourner ». « On oublie les principes de base et on agit un peu par automatisme. » Un automatisme qui aura fait passer les policiers à côté de « renseignements importants, qui auraient pu changer la suite des événements ».

En prenant le temps de discuter avec le père, l’agente aurait notamment appris que « M. Celik était dans un état anormal et devait se calmer », et que les parents « pensaient que c’était plutôt une ambulance dont leur fils avait besoin ». Le père ne voulait d’ailleurs pas que les policiers entrent tout de suite dans la demeure.

Les parents de Koray Kevin Celik ont poursuivi pour plus d’un demi-million de dollars la Ville de Montréal, responsable du SPVM, ainsi qu’Urgences-santé.

Si le rapport du coroner impute une certaine responsabilité à la police, les « services d’Urgences-santé et soins octroyés par ses représentants ne sont pas en cause dans la présente affaire », puisque les « manœuvres ont été débutées rapidement et un défibrillateur était sur les lieux trois minutes après ».
Plusieurs facteurs de décès

L’opération policière n’est pas la seule cause de la mort du jeune homme, précise Me Malouin, mais elle a « provoqué la cascade des événements qui ultimement a conduit au décès de M. Celik ».

Selon l’autopsie, Korey Kevin Celik est « décédé d’une intoxication/réaction adverse à un mélange d’alcool, de médicaments et de drogues d’abus dans le cadre d’un syndrome du délirium agité ». Il avait aussi une « hypertrophie cardiaque ».

Or, chaque élément « pris isolément ne peut pas causer un décès, surtout au présent dossier, où l’intervention n’a duré qu’une minute environ ». Pour le pathologiste, c’est donc « l’ensemble des trois éléments qui ont occasionné le décès ».

Mais « un fait incontestable demeure : M. Celik était vivant et calme avant l’intervention policière », indique le coroner. « De prétendre comme le fait le procureur de la Ville de Montréal que l’intervention policière n’a pas causé le décès de M. Celik va manifestement à l’encontre des faits. »

La famille de la victime a refusé de participer à l’enquête publique du coroner, dénonçant un système qui n’est pas indépendant et qui sert, selon elle, à protéger la police. Au moment où ces lignes étaient écrites, le père de M. Celik n’avait pas répondu aux sollicitations du Devoir.

Catégories

Corp policier (SPVM, SQ, GRC, agent de la STM, etc): 

Ville où l'événement s'est produit: 

Type de document: 

dossier: