Police partout, la vision de Fady Dagher

Après cinq mois à la tête du Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM), Fady Dagher a pris la parole pour exposer sa vision. Mais en lieu et place d’une vision cohérente, le nouveau directeur a présenté un fourre-tout qui peut se résumer à un slogan souvent scandé lors des manifestations : « Police partout, justice nulle part ».

L’ancien directeur du service de police de Longueuil est un membre de longue date du SPVM, où il s’est d’abord distingué en tant que directeur du poste de quartier de Saint-Michel. Depuis des années déjà, M. Dagher accorde une place centrale à la répression et à la prévention de la criminalité. Dans son discours, il est revenu sans cesse sur ce thème en soulignant que le fait de saisir les armes à feu et d’arrêter les auteurs de fusillades n’endiguerait en rien la violence armée qui sévit dans la ville.

Il n’y a là rien de nouveau ni de controversé. Mais la question est toujours de savoir comment prévenir la violence, et c’est là que la vision de Fady Dagher s’écarte de la norme — et de manière effrayante.

Pour lutter contre la violence armée, quatre escouades du SPVM travailleront ensemble cet été pour cibler et neutraliser les individus « à risque ». Ceux-ci seront suivis par la police pendant des semaines, voire des mois, afin de leur faire comprendre que tout acte de violence aura des conséquences. Les partenaires communautaires et les proches de ces personnes participeront à l’opération afin de motiver chez elles un changement de parcours.
Profilage racial

Cette approche se base sur le modèle de « dissuasion ciblée » mis au point à Boston dans les années 1990 et implanté dans le monde entier depuis. Celui-ci a entraîné une légère réduction de la violence armée dans certaines villes. Mais il y a un hic. Il nécessite un niveau élevé de collaboration entre la communauté et la police. Or, comme l’ont fait remarquer plusieurs chercheurs, une telle collaboration est peu probable dans des contextes où le maintien de l’ordre a été tout sauf ciblé — où le profilage racial, par exemple, est manifeste.

Compte tenu de cette réserve, on se serait attendu à ce que M. Dagher présente un plan audacieux pour mettre fin aux pratiques de profilage racial. Cela n’a pas été le cas. À un journaliste qui lui demandait si la mise en place de la nouvelle politique d’interpellation en 2021 avait changé quelque chose, il a répondu qu’il sera impossible de le savoir avant la publication du rapport sur le profilage racial l’automne prochain. En fait, ce rapport a été achevé l’an dernier et le SPVM refuse de le rendre public. On peut présumer que M. Dagher l’a sans doute lu.

Dans son discours, le chef du SPVM a précisé que la prévention de la violence doit prendre au sérieux les délits mineurs, comme un vol à l’étalage dans une épicerie, puisque ces actes constituent la première étape menant à l’acquisition et à l’utilisation d’une arme à feu. Cette affirmation est fausse, mais elle est aussi inquiétante. Elle encourage la police à évaluer elle-même si un délit mineur annonce de futurs actes violents, avec tous les préjugés raciaux qui teintent souvent de telles prédictions. Nous sommes loin d’un modèle de dissuasion ciblée.
Encerclés et surveillés

À la lumière de ce qui précède, il convient d’examiner un deuxième élément. En misant sur divers programmes, nouveaux et existants, M. Dagher espère intégrer davantage la police dans la vie communautaire. En affirmant que cette dernière doit connaître la famille d’une personne pour la maintenir sur la bonne voie et qu’elle fait partie, à ce titre, du « village qui élève un enfant », M. Dagher semble toutefois imaginer la police comme une figure quasi parentale.

Ce que M. Dagher ne semble pas comprendre, c’est à quel point de nombreux jeunes racisés sentent que la police est déjà trop présente dans leur vie. Dans un rapport produit en 2018 par MTL sans profilage, des jeunes du quartier Saint-Michel ont déclaré se sentir encerclés et surveillés par la police partout où ils allaient. Ce sentiment n’est pas seulement le résultat de la répression policière, mais de la prévention. De façon prévisible, les jeunes qui sont interpellés par la police un jour ne verront pas d’un bon oeil une opération de prévention menée dans leur école ou un parc le lendemain. Ils se sentiront épiés dans les deux cas.

En fin de compte, Fady Dagher veut pour la police tout et son contraire. Il souhaite que ses ressources soient concentrées sur les individus à haut risque, mais il veut également les disperser pour mettre fin à la petite délinquance. Il veut que la police gagne la confiance de la communauté, mais il veut aussi qu’elle y soit omniprésente, comme un parent obsessionnel. Une vision à la fois incohérente et coûteuse. Il n’est donc pas étonnant qu’il espère engager 750 policiers supplémentaires afin de renforcer un corps policier qui est déjà le plus important au pays par habitant.

Il existe pourtant une autre solution : respecter le mandat et les compétences de la police dans la société moderne. Faire en sorte que la police réprime la criminalité sérieuse tout en outillant et en finançant les groupes communautaires et les institutions non policières pour qu’ils puissent faire le travail de prévention qu’ils ont toujours fait.

Catégories

Corp policier (SPVM, SQ, GRC, agent de la STM, etc): 

Ville où l'événement s'est produit: 

Type de document: 

dossier: