La famille de Koray Kevin Celik, tué par la police, dénonce une enquête biaisée en faveur des policiers

Plus de six ans après le décès de leur fils aux mains de la police, la famille de Koray Kevin Celik demande la formation d’un comité indépendant pour déterminer si des accusations criminelles sont justifiées. La famille dénonce le manque de neutralité de l’enquête jusqu’ici, qui n’a mené à aucune accusation envers les forces de l’ordre, malgré des éléments incriminants.

En conférence de presse lundi, la famille de Koray Kevin Celik a interpellé le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, afin de demander la création d’un nouveau comité indépendant qui aurait le mandat de réexaminer les éléments de preuves liées au décès de leur fils.

En mars 2017, le jeune homme de 28 ans avait été tué à son domicile à l’île Bizard par des policier·ères. Les agent·es avaient été appelé·es sur les lieux à la demande des parents, qui souhaitaient simplement empêcher leur fils de conduire en état d’ébriété.

Selon les parents de M. Celik, à l’arrivée des policier·ères, la situation avait déjà été résorbée. Malgré les protestations des parents, les policier·ères sont tout de même entré·es dans le domicile et ont procédé à une intervention physique lors de laquelle Koray Kevin Celik est mort.

Le rapport d’enquête du coroner indique que le jeune homme a subi plusieurs traumatismes physiques. Le coroner détermine aussi que la victime n’aurait pourtant porté aucun coup aux policier·ères.

Six ans plus tard, la famille se dit profondément troublée par « le manque de neutralité, d’indépendance et d’impartialité des autorités » dans le processus d’enquête, qui n’a pour le moment pas mené à des accusations.
Opacité et apparence de conflit d’intérêts

Suivant une enquête du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), hautement critiquée par la famille, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) avait refusé en 2019 de porter des accusations criminelles contre les policier·ères impliqué·es dans la mort de Koray Celik.

Pourtant, l’enquête publique du coroner, conclue en avril dernier, contredit les motifs de cette décision. Le coroner invoque des manquements importants de la part des policier·ères relatifs à l’utilisation de la force lors des événements de mars 2017.

Le Comité de déontologie policière estime lui aussi que des accusations sont justifiées, pour les mêmes raisons.

La famille juge que l’enquête du BEI était incomplète et partiale.

« Le BEI s’est montré étrangement réticent à rencontrer les parents pour recueillir leurs versions des faits, ça a été compliqué, alors qu’ils sont deux témoins directs », explique Me Virginie Dufresne-Lemire, l’avocate qui représente la famille.

Par ailleurs, le BEI est aussi constitué en grande partie par d’ancien·nes policier·ères, ce qui soulève des questions sur son indépendance par rapport à la police. « En ce qui concerne l’enquête sur le décès Koray Kevin Celik, il y avait d’anciens policiers du SPVM qui étaient impliqués », s’indigne Alexandre Popovic, porte-parole de la Coalition contre la répression et les abus policiers (CRAP). « Ils se retrouvent donc à travailler à enquêter sur un événement qui implique le SPVM alors qu’ils y étaient, il y a peu de temps de ça. »

« Ils ne font pas plus d’efforts que ça pour tenter de convaincre les citoyens qu’il n’y a aucun risque de conflit d’intérêts », se désole-t-il.

Tout cela est d’autant plus problématique, selon Me Dufresne-Lemire, que c’est l’enquête du BEI qui constitue le dossier repris par le DPCP afin de déterminer s’il y a matière à porter des accusations ou non.

« Ils se retrouvent donc à travailler à enquêter sur un événement qui implique le SPVM alors qu’ils y étaient, il y a peu de temps de ça. »
Alexandre Popovic

Par ailleurs, lorsqu’il a rendu sa décision, le DPCP n’a pas rencontré les parents pour l’en informer en bonne et due forme. Normalement, « c’est à ce moment-là qu’il y a un certain partage de l’information. La famille Celik n’a pas eu droit à ça », souligne Me Dufresne-Lemire. Elle n’a reçu qu’un communiqué de presse, quelques minutes avant qu’il ne soit rendu public.

En 2020, la Ligue des droits et libertés (LDL) et la CRAP, tous deux impliqués dans la représentation de la famille Celik, avaient publié un rapport détaillant des problèmes entourant le BEI, notamment quant à sa transparence.

« Pour les familles c’est excessivement difficile, ça prend des années avant d’avoir des réponses », remarque Me Dufresne-Lemire.
Précédent à l’appui

Selon Me Dufresne-Lemire, le ministère de la Justice aurait déjà répondu par la négative à une lettre de la famille, envoyée le 23 mai dernier, demandant la mise sur pied d’un comité indépendant. Le ministère aurait affirmé qu’il lui était impossible d’intervenir en raison de la nature privée du litige.

« C’est faux, ce n’est pas l’état du droit », pense Me Dufresne-Lemire. « Cette situation-là, elle s’est déjà passée. »

Elle invoque le cas d’un enfant, Nicholas Thorne-Belance, tué lors d’une collision causée par un policier qui conduisait au-dessus de la limite de vitesse. Là aussi, le DPCP avait d’abord choisi de ne pas déposer d’accusations, jusqu’à ce qu’un témoignage, connu de la police et qui incriminait le policier, soit rapporté publiquement dans les médias.

« Ça permet de voir que le DPCP n’est pas infaillible, qu’il peut faire des erreurs et qu’il faut une façon de réévaluer, surtout lorsqu’il est question du travail des policiers. »
Me Virginie Dufresne-Lemire

Stéphanie Vallée, la ministre de la Justice à l’époque, avait alors demandé au DPCP de mettre en place un comité externe pour réévaluer la preuve. Le comité avait recommandé la mise en accusation et le policier en question avait été déclaré coupable.

« Ça permet de voir que le DPCP n’est pas infaillible, qu’il peut faire des erreurs et qu’il faut une façon de réévaluer, surtout lorsqu’il est question du travail des policiers », souligne l’avocate.

Dans l’affaire Thorne-Belance, le policier incriminé avait tenté de faire annuler sa mise en accusation en invoquant l’intervention de la ministre, qu’il estimait illégitime. La Cour d’appel du Québec avait déterminé que cette intervention n’était pas illégale et qu’un comité externe servait l’atteinte des objectifs du DPCP.

« Ce qu’on demande, le ministre a le pouvoir de le faire. Ça a été reconnu par les tribunaux, ça existe de par la loi », conclut Me Dufresne-Lemire.

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