Se concilier la police

Quand, en février 2010, après avoir analysé les expériences menées dans le reste du Canada, en Irlande du Nord et au Royaume-Uni, la Protectrice du citoyen avait recommandé au gouvernement Charest de créer un organisme indépendant pour enquêter sur les agissements des policiers impliqués dans des incidents graves, l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec (APPQ) était immédiatement montée aux barricades, disant y voir un désaveu.

Alors que la situation de conflit d’intérêts dans laquelle se plaçaient des policiers enquêtant sur d’autres policiers avait paru évidente à tous, au vu des difficultés à établir les circonstances de la mort du jeune Fredy Villanueva, abattu par un agent du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), le président de l’APPQ avait plutôt demandé comment on pouvait confier un tel mandat à des gens qui ignoraient tout de la culture policière. L’idée que cette culture pouvait précisément faire partie du problème n’avait pas semblé lui effleurer l’esprit.

Le ministre de la Sécurité publique de l’époque, Robert Dutil, avait adopté le point de vue des policiers en proposant la création d’un Bureau civil de surveillance des enquêtes. Des membres de ce bureau pourraient superviser le travail des policiers, mais ces derniers conserveraient la responsabilité de mener les enquêtes. L’APPQ avait applaudi, mais les critiques avaient fusé de toutes parts. Même l’ombudsman et ex-directeur de l’Unité des enquêtes spéciales de l’Ontario était venu dire en commission parlementaire tout le mal qu’il pensait de cette formule.

Quand le PQ a pris le pouvoir, il est revenu à la proposition initiale de la protectrice du citoyen, mais plus de deux ans après l’adoption de sa loi constitutive, le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) n’est toujours pas opérationnel. Qui plus est, si le projet de règlement publié en juillet dernier entre en vigueur tel qu’il est libellé, le BEI ne serait même pas autorisé à enquêter sur des allégations d’agressions sexuelles commises par des policiers.

La nomination d’un observateur pour voir au bon déroulement de l’enquête menée par le SPVM sur les allégations concernant les agents de la SQ à Val-d’Or, plutôt que de la confier à un comité indépendant, est de la même eau que l’organisme bidon qu’avait tenté de créer le gouvernement Charest afin de se concilier les corps policiers.

Si on peut comprendre la colère des chefs autochtones, le ton accusateur sur lequel ils ont d’abord « sommé » le premier ministre Couillard d’aller les rencontrer à Val-d’Or dans les 24 heures n’en était pas moins inacceptable. Il est cependant clair que la crise a pris une ampleur telle que le chef du gouvernement doit maintenant se saisir lui-même du dossier.

La ministre de la Sécurité publique, Lise Thériault, n’a tout simplement plus la crédibilité requise. Même si elle ne contenait pas toutes les informations révélées par l’émission Enquête, la lettre que la directrice du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or a adressée en mai dernier au directeur régional de la SQ, dont trois ministres ont obtenu copie, était suffisamment alarmante pour confier l’enquête à n’importe qui sauf la SQ.

À la décharge de Mme Thériault, pas plus la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, également responsable de la Condition féminine, que le ministre des Affaires autochtones, Geoff Kelley, n’ont semblé voir l’incongruité de laisser à la SQ le soin de se policer elle-même. Le bilan libéral en matière de transparence donne encore une fois l’impression que l’affaire aurait été enterrée sans l’intervention des médias.

Bien sûr, M. Couillard a raison de dire que la problématique de la relation entre les nations autochtones et la société blanche va bien au-delà de la crise de Val-d’Or, de la même façon que la crise d’Oka était simplement la manifestation d’un malaise beaucoup plus profond. La majorité des Québécois, qui n’ont pas à cohabiter avec les autochtones, avec les inévitables tensions que provoque ce choc entre deux cultures, préfèrent souvent l’ignorer ou se donner bonne conscience avec la Convention de la baie James ou la Paix des Braves.

La rencontre que le premier ministre aura éventuellement avec les chefs des Premières Nations embrassera forcément large, mais l’entendre blâmer d’entrée de jeu la Loi sur les Indiens, dont tout le monde reconnaît par ailleurs la vétusté, fait craindre une tentative de noyer le poisson. Si paternaliste qu’elle soit, cette loi fédérale n’a rien à voir avec la SQ, pas plus qu’avec la façon dont le travail de la police doit être encadré dans un État de droit.

Si les autochtones ont le droit de réclamer que les agressions dont ils ont pu être victimes soient dûment sanctionnées, tous les Québécois doivent aussi avoir l’assurance que les policiers sont aussi imputables de leurs agissements que n’importe qui d’autre.

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