Les policiers pourront encore interpeller sans motif

Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) ne mettra pas fin aux interpellations sans motif comme le recommande le rapport qu’il a commandé. Fady Dagher ne veut pas annoncer une « mesure symbolique » pour lutter contre le profilage racial, a-t-il déclaré en conférence de presse mercredi.

Ce qu’il faut savoir

• Le SPVM a recours aux interpellations afin d’obtenir de l’information ou d’identifier des personnes qui ne sont ni en état d’arrestation ni mises à l’amende.

• Le dernier rapport commandé par le SPVM révèle une grande disparité dans la pratique : les Autochtones ont 6 fois plus de chances d’être interpellés par la police que les personnes blanches, les personnes noires 3,5 fois plus, et les personnes arabes 2,6 fois plus.

• Les policiers jugent les interpellations essentielles à la sécurité publique parce qu’elles permettent de « valider des suspicions en lien avec la criminalité », selon les chercheurs. Il n’existe toutefois pas de données qui montrent l’efficacité de cette pratique.

Ce rapport réalisé sous la direction du chercheur Victor Armony, à la demande du SPVM, proposait « le moratoire de toute interpellation policière qui ne soit pas justifiée par l’enquête d’un crime spécifique ou par le soupçon raisonnable d’une activité illégale ».

Le chef de la police de Montréal, Fady Dagher, souhaite privilégier une approche « des petits pas », qui s’attaque « à la source » du problème. Il juge qu’un moratoire ne permettrait pas nécessairement de changer les pratiques et la culture du SPVM.
Un rapport « extrêmement critique »

« Maintenant, est-ce que les chercheurs ont conclu pour autant qu’il n’y a pas de racisme systémique ? Bien sûr que non », a précisé M. Dagher.

La disparité dans les interpellations policières aléatoires ne semble pas avoir diminué depuis le premier rapport sur la question présenté en 2019. Par exemple, en 2021, les personnes autochtones avaient encore six fois plus de chances d’être interpellées par la police que les personnes blanches.

L’équipe de chercheurs a également souligné qu’aucune preuve ne montre l’efficacité des interpellations pour lutter contre la criminalité. En 2019, un moratoire concernant la pratique a été mis en place en Nouvelle-Écosse. Le ministère de la Justice de cette province avait par la suite resserré les conditions d’interpellation. Ce qui a été fait à Montréal dans le cadre de la Politique sur les interpellations policières du SPVM en 2020 irait « moins loin qu’ailleurs » au Canada, note le rapport.
Le projet du chef de police

Fady Dagher compte plutôt s’attaquer aux critères d’entrée et de promotion discriminatoires, qui font également l’objet de recommandations. Il a cité l’exemple du test de natation qui est exigé pour intégrer les corps policiers, un sport qui n’est pas particulièrement pratiqué dans les communautés noires. Par ailleurs, les policiers doivent éviter de sauter à l’eau dans l’exercice de leurs fonctions, sauf en dernier recours.

Travailler sur le racisme systémique, c’est difficile, car c’est insidieux et surtout parfois c’est invisible. Il s’agit parfois de vieilles règles que personne n’a pensé remettre en question, mais qui créent de réelles discriminations.

Fady Dagher, directeur du SPVM

Le chef de police cherchera aussi à rendre les rangs de la police « plus hétérogènes », ce qu’il juge avoir déjà entamé. Alicia Boatswain-Kyte, une des chercheuses signataires du rapport et professeure adjointe de travail social à l’Université McGill, doute que ce soit possible sans le moratoire : « On ne va pas trouver des policiers, des recrues, si à la base ils sont méfiants envers la profession. »
Déception des chercheurs

« Un moratoire n’aurait pas été symbolique, je pense que ça aurait été nécessaire », a ajouté Mme Boatswain-Kyte. C’est un avis partagé par ses collègues, qui se disent tous déçus de la décision du chef de police.

« C’est comme si finalement, ils se disaient : oui, nous voyons qu’il y a du racisme systémique, oui, il y a du racisme et de la discrimination, mais on va continuer à le faire pour prévenir la criminalité », a renchéri Mariam Hassaoui, coautrice du rapport et professeure à l’Université TÉLUQ.

« Pour les victimes, il y a toujours des limites à faire preuve de patience. Par respect pour elles et leurs droits, il faut carrément interdire la pratique des interpellations », a soutenu Laurence Guénette, coordonnatrice de la Ligue des droits et libertés, dans un communiqué.

Alain Vaillancourt, responsable de la sécurité publique au comité exécutif de la Ville, a accueilli favorablement le rapport et la décision du chef de police : « Je suis à l’aise avec le fait qu’il veut y aller avec un changement en profondeur. »

Il affirme soutenir « à 100 % » le chef de police dans sa stratégie puisqu’il appliquera les huit autres recommandations du rapport.

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